Top Posters
Since Sunday
A free membership is required to access uploaded content. Login or Register.

Bergson - Evolution creatrice.docx

Uploaded: 6 years ago
Contributor: gh0st
Category: Religion and Philosophy
Type: Other
Rating: N/A
Helpful
Unhelpful
Filename:   Bergson - Evolution creatrice.docx (400.59 kB)
Page Count: 559
Credit Cost: 1
Views: 115
Last Download: N/A
Transcript
Henri Bergson L volution cr atrice Table des mati res Introduction Chapitre I l' volution de la vie M canisme et finalit De la dur e en g n ral Les corps inorganis s Les corps organis s vieillissement et individualit Du transformisme et des mani res de l'interpr ter Le m canisme radical biologie et physico-chimie Le finalisme radical biologie et philosophie Recherche d'un criterium Examen des diverses th ories transformistes sur un exemple particulier Darwin et la variation insensible De Vries et la variation brusque Eimer et l'orthogen se Les n o-Lamarckiens et l'h r dit de l'acquis L' lan vital Chapitre II Les directions divergentes de l' volution de la vie Torpeur intelligence instinct Id e g n rale du processus volutif La croissance Les tendances divergentes et compl mentaires Signification du progr s et de l'adaptation Relation de l animal la plante Sch ma de la vie animale D veloppement de l'animalit Les grandes directions de l' volution de la vie torpeur intelligence instinct Fonction primordiale de l'intelligence Nature de l'instinct Vie et conscience Place apparente de l'homme dans la nature Chapitre III de la signification de la vie L'ordre de la nature et la Forme de l'intelligence Rapport du probl me de la vie au probl me de la connaissance La m thode philosophique Cercle vicieux apparent de la m thode propos e Cercle vicieux r el de la m thode inverse De la possibilit d'une gen se simultan e de la mati re et de l'intelligence G om trie inh rente la mati re Fonctions essentielles de l'intelligence Esquisse d'une th orie de la connaissance fond e sur l'analyse de l'id e de d sordre Les deux formes oppos es de l'ordre le probl me des genres et le probl me des lois Le d sordre et les deux ordres Cr ation et volution Le monde mat riel De l'origine et de la destination de la vie L'essentiel et l'accidentel dans les processus vitaux et dans le mouvement volutif L'humanit Vie du corps et vie de l'esprit Chapitre IV Le m canisme cin matographique de la pens e et l'illusion m canistique Coup d' il sur l'histoire des syst mes Le devenir r el et le faux volutionnisme Esquisse d'une critique des syst mes fond e sur l'analyse des id es de n ant et d'immutabilit L'existence et le n ant Le devenir et la forme La philosophie des formes et sa conception du devenir Platon et Aristote Pente naturelle de l'intelligence Le devenir d'apr s la science moderne Deux points de vue sur le temps M taphysique de la science moderne Descartes Spinoza Leibniz La critique de Kant L' volutionnisme de Spencer Du m me auteur Aux Presses universitaires de France uvres en vol in- couronn dition du Centenaire Essai sur les donn es imm diates de la conscience Mati re et m moire Le rire L' volution cr atrice L' nergie spirituelle Les deux sources de la morale et de la religion La pens e et le mouvant e d Essai sur les donn es imm diates de la conscience e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine Mati re et m moire e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine Le rire e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine L' volution cr atrice d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine L' nergie spirituelle e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine La pens e et le mouvant Essais et conf rences e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine Dur e et simultan it propos de la th orie d'Einstein e d vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine puis crits et paroles Textes rassembl s par Rose-Marie MOSS -BASTIDE Vol in- de la Biblioth que de Philosophie contemporaine M moire et vie e d Textes choisis vol in- couronn Les Grands Textes Avertissement l dition num rique Retour la table des mati res La seule modification apport e cette uvre de Bergson est l ajout des sous-titres des chapitres dans le corps du texte pour faciliter la compr hension de la structure de l uvre Ces sous-titres sont ceux de la table des mati res du livre JMT Ces sous-titres sont en Times vert fonc dans le corps du texte L volution cr atrice Introduction Retour la table des mati res L'histoire de l' volution de la vie si incompl te qu'elle soit encore nous laisse d j entrevoir comment l'intelligence s'est constitu e par un progr s ininterrompu le long d'une ligne qui monte travers la s rie des Vert br s jusqu' l'homme Elle nous montre dans la facult de comprendre une annexe de la facult d'agir une adaptation de plus en plus pr cise de plus en plus complexe et souple de la conscience des tres vivants aux conditions d'existence qui leur sont faites De l devrait r sulter cette cons quence que notre intelligence au sens troit du mot est destin e assurer l'insertion parfaite de notre corps dans son milieu se repr senter les rapports des choses ext rieures entre elles enfin penser la mati re Telle sera en effet une des conclusions du pr sent essai Nous verrons que l'intelligence humaine se -sent chez elle tant qu'on la laisse parmi les objets inertes plus sp ciale ment parmi les solides o notre action trouve son point d'appui et notre industrie ses instruments de travail que nos concepts ont t form s l'image des solides que notre logique est surtout la logique des solides que par l m me notre intelligence triomphe dans la g om trie o se r v le la parent de la pens e logique avec la mati re inerte et o l'intelligence n'a qu' suivre son mouvement naturel apr s le plus l ger contact possible avec l'exp rience pour aller de d couverte en d couverte avec la certitude que l'exp rience marche derri re elle et lui donnera invariablement raison Mais de l devrait r sulter aussi que notre pens e sous sa forme purement logique est incapable de se repr senter la vraie nature de la vie la signification profonde du mouvement volutif Cr e par la vie dans des circonstances d termin es pour agir sur des choses d termin es comment embrasserait-elle la vie dont elle n'est qu'une manation ou un aspect D pos e en cours de route par le mouvement volutif comment s'appliquerait-elle le long du mouvement volutif lui-m me Autant vaudrait pr tendre que la partie gale le tout que l'effet peut r sorber en lui sa cause ou que le galet laiss sur la plage dessine la forme de la vague qui l'apporta De fait nous sentons bien qu'aucune des cat gories de notre pens e unit multiplicit causalit m canique finalit intelligente etc ne s'applique exactement aux choses de la vie qui dira o commence et on finit l'individualit si l' tre vivant est un ou plusieurs si ce sont les cellules qui s'associent en organisme ou si c'est l'organisme qui se dissocie en cellules En vain nous poussons le vivant dans tel ou tel de nos cadres Tous les cadres craquent Ils sont trop troits trop rigides surtout pour ce que nous voudrions y mettre Notre raisonnement si s r de lui quand il circule travers les choses inertes se sent d'ailleurs mal son aise sur ce nouveau terrain On serait fort embarrass pour citer une d couverte biologique due au raisonnement pur Et le plus souvent quand l'exp rience a fini par nous montrer comment la vie s'y prend pour obtenir un certain r sultat nous trouvons que sa mani re d'op rer est pr cis ment celle laquelle nous n'aurions jamais pens Pourtant la philosophie volutionniste tend sans h sitation aux choses de la vie les proc d s d'explication qui ont r ussi pour la mati re brute Elle avait commenc par nous montrer dans l'intelligence un effet local de l' volution une lueur peut- tre accidentelle qui claire le va-et-vient des tres vivants dans l' troit passage ouvert leur action et voici que tout coup oubliant ce qu'elle vient de nous dire elle fait de cette lanterne man uvr e au fond d'un souterrain un Soleil qui illuminerait le monde Hardiment elle proc de avec les seules forces de la pens e conceptuelle la reconstruction id ale de toutes choses m me de la vie Il est vrai qu'elle se heurte en route de si formidables difficult s elle voit sa logique aboutir ici de si tranges contradictions que bien vite elle renonce son ambition premi re Ce n'est plus la r alit m me dit-elle qu'elle recomposera mais seulement une imitation du r el ou plut t une image symbolique l'essence des choses nous chappe et nous chappera toujours nous nous mouvons parmi des relations l'absolu n'est pas de notre ressort arr tons-nous devant l'Inconnaissable Mais c'est vraiment apr s beaucoup d'orgueil pour l'intelligence humaine un exc s d'humilit Si la forme intellectuelle de l' tre vivant s'est model e peu peu sur les actions et r actions r ciproques de certains corps et de leur entourage mat riel comment ne nous livrerait-elle pas quelque chose de l'essence m me dont les corps sont faits L'action ne saurait se mouvoir dans l'irr el D'un esprit n pour sp culer ou pour r ver je pourrais admettre qu'il reste ext rieur la r alit qu'il la d forme et qu'il la transforme peut- tre m me qu'il la cr e comme nous cr ons les figures d'hommes et d'animaux que notre imagination d coupe dans le nuage qui passe Mais une intelligence tendue vers l'action qui s'accomplira et vers la r action qui s'ensuivra palpant son objet pour en recevoir chaque instant l'impression mobile est une intelligence qui touche quelque chose de l'absolu L'id e nous serait-elle jamais venue de mettre en doute cette valeur absolue de notre connaissance si la philosophie ne nous avait montr quelles contradictions notre sp culation se heurte quelles impasses elle aboutit Mais ces difficult s ces contradictions naissent de ce que nous appliquons les formes habituelles de notre pens e des objets sur lesquels notre industrie n'a pas s'exercer et pour lesquels par cons quent nos cadres ne sont pas faits La connaissance intellectuelle en tant qu'elle se rapporte un certain aspect de la mati re inerte doit au contraire nous en pr senter l'empreinte fid le ayant t clich e sur cet objet particulier Elle ne devient relative que si elle pr tend telle qu'elle est nous repr senter la vie c'est- -dire le clicheur qui a pris l'empreinte Faut-il donc renoncer approfondir la nature de la vie Faut-il s'en tenir la repr sentation m canistique que l'entendement nous en donnera toujours repr sentation n cessairement artificielle et symbolique puisqu'elle r tr cit l'activit totale de la vie la forme d'une certaine activit humaine laquelle n'est qu'une manifestation partielle et locale de la vie un effet ou un r sidu de l'op ration vitale Il le faudrait si la vie avait employ tout ce qu'elle renferme de virtualit s psychiques faire de purs entendements c'est- -dire pr parer des g om tres Mais la ligne d' volution qui aboutit l'homme n'est pas la seule Sur d'autres voies divergentes se sont d velopp es d'autres formes de la conscience qui n'ont pas su se lib rer des contraintes ext rieures ni se reconqu rir sur elles-m mes comme l'a fait l'intelligence humaine mais qui n'en expriment pas moins elles aussi quelque chose d'immanent et d'essentiel au mouvement volutif En les rapprochant les unes des autres en les faisant ensuite fusionner avec l'intelligence n'obtiendrait-on pas cette fois une conscience coextensive la vie et capable en se retournant brusquement contre la pouss e vitale qu'elle sent derri re elle d'en obtenir une vision int grale quoique sans doute vanouissante On dira que m me ainsi nous ne d passons pas notre intelligence puisque c'est avec notre intelligence travers notre intelligence que nous regardons encore les autres formes de la conscience Et l'on aurait raison de le dire si nous tions de pures intelligences s'il n' tait pas rest autour de notre pens e conceptuelle et logique une n bulosit vague faite de la substance m me aux d pens de laquelle s'est form le noyau lumineux que nous appelons intelligence L r sident certaines puissances compl mentaires de l'entendement puissances dont nous n'avons qu'un sentiment confus quand nous restons enferm s en nous mais qui s' clairciront et se distingueront quand elles s'apercevront elles-m mes l uvre pour ainsi dire dans l' volution de la nature Elles apprendront ainsi quel effort elles ont faire pour s'intensifier et pour se dilater dans le sens m me de la vie C'est dire que la th orie de la connaissance et la th orie de la vie nous paraissent ins parables l'une de autre Une th orie de la vie qui ne s'accompagne pas d'une critique de la connaissance est oblig e d'accepter tels quels les concepts que l'entendement met sa disposition elle ne peut qu'enfermer les faits de gr ou de force dans des cadres pr existants qu'elle consid re comme d finitifs Elle obtient ainsi un symbolisme commode n cessaire m me peut- tre la science positive mais non pas une vision directe de son objet D'autre part une th orie de la connaissance qui ne replace pas l'intelligence dans l' volution g n rale de la vie ne nous apprendra ni comment les cadres de la connaissance se sont constitu s ni comment nous pouvons les largir ou les d passer Il faut que ces deux recherches th orie de la connaissance et th orie de la vie se rejoignent et par un processus circulaire se poussent l'une l'autre ind finiment A elles deux elles pourront r soudre par une m thode plus s re plus rapproch e de l'exp rience les grands probl mes que la philosophie pose Car si elles r ussissaient dans leur entreprise commune elles nous feraient assister la formation de l'intelligence et par l la gen se de cette mati re dont notre intelligence dessine la configuration g n rale Elles creuseraient jusqu' la racine m me de la nature et de l'esprit Elles substitueraient au faux volutionnisme de Spencer - qui consiste d couper la r alit actuelle d j volu e en petits morceaux non moins volu s puis la recomposer avec ces fragments et se donner ainsi par avance tout ce qu'il s'agit d'expliquer un volutionnisme vrai o la r alit serait suivie dans sa g n ration et sa croissance Mais une philosophie de ce genre ne se fera pas en un jour A la diff rence des syst mes proprement dits dont chacun fut l uvre d'un homme de g nie et se pr senta comme un bloc prendre ou laisser elle ne pourra se constituer que par l'effort collectif et progressif de bien des penseurs de bien des observateurs aussi se compl tant se corrigeant se redressant les uns les autres Aussi le pr sent essai ne vise-t-il pas r soudre tout d'un coup les plus grands probl mes Il voudrait simplement d finir la m thode et faire entrevoir sur quelques points essentiels la possibilit de l'appliquer Le plan en tait trac par le sujet lui-m me Dans un premier chapitre nous essayons au progr s volutif les deux v tements de confection dont notre entendement dispose m canisme et finalit nous montrons qu'ils ne vont ni l'un ni l'autre mais que l'un des deux pourrait tre recoup recousu et sous cette nouvelle forme aller moins mal que l'autre Pour d passer le point de vue de l'entendement nous t chons de reconstituer dans notre second chapitre les grandes lignes d' volution que la vie a parcourues c t de celle qui menait l'intelligence humaine L'intelligence se trouve ainsi replac e dans sa cause g n ratrice qu'il s'agirait alors de saisir en elle-m me et de suivre dans son mouvement C'est un effort de ce genre que nous tentons - bien incompl tement - dans notre troisi me chapitre Une quatri me et derni re partie est destin e montrer comment notre entendement lui-m me en se soumettant une certaine discipline pourrait pr parer une philosophie qui le d passe Pour cela un coup d il sur l'histoire des syst mes devenait n cessaire en m me temps qu'une analyse des deux grandes illusions auxquelles s'expose d s qu'il sp cule sur la r alit en g n ral l'entendement humain L volution cr atrice Chapitre I De l' volution de la vie M canisme et finalit De la dur e en g n ral Les corps inorganis s Les corps organis s vieillissement et individualit Retour la table des mati res L'existence dont nous sommes le plus assur s et que nous connaissons le mieux est incontestablement la n tre car de tous les autres objets nous avons des notions qu'on pourra juger ext rieures et superficielles tandis que nous nous percevons nous-m mes int rieurement profond ment Que constatons-nous alors Quel est dans ce cas privil gi le sens pr cis du mot exister Rappelons ici en deux mots les conclusions d'un travail ant rieur Je constate d'abord que je passe d' tat en tat J'ai chaud ou j'ai froid je suis gai ou je suis triste je travaille ou je ne fais rien je regarde ce qui m'entoure Ou je pense autre chose Sensations sentiments volitions repr sentations voil les modifications entre lesquelles mon existence se partage et qui la colorent tour tour Je change donc sans cesse Mais ce n'est pas assez dire Le change ment est bien plus radical qu'on ne le croirait d'abord Je parle en effet de chacun de mes tats comme s'il formait un bloc Je dis bien que je change mais le change ment m'a l'air de r sider dans le passage d'un tat l' tat suivant de chaque tat pris part j'aime croire qu'il reste ce qu'il est pendant tout le temps qu'il se produit Pourtant un l ger effort d'attention me r v lerait qu'il n'y a pas d'affection pas de repr sentation pas de volition qui ne se modifie tout moment si un tat d' me cessait de varier sa dur e cesserait de couler Prenons le plus stable des tats internes la perception visuelle d'un objet ext rieur immobile L'objet a beau rester le m me j'ai beau le regarder du m me c t sous le m me angle au m me jour la vision que j'ai n'en diff re pas moins de celle que je viens d'avoir quand ce ne serait que parce qu'elle a vieilli d'un instant Ma m moire est l qui pousse quelque chose de ce pass dans ce pr sent Mon tat d' me en avan ant sur la route du temps s'enfle continuellement de la dur e qu'il ramasse il fait pour ainsi dire boule de neige avec lui-m me A plus forte raison en est-il ainsi des tats plus profond ment int rieurs sensations affections d sirs etc qui ne correspondent pas comme une simple perception visuelle un objet ext rieur invariable Mais il est commode de ne pas faire attention ce changement ininterrompu et de ne le remarquer que lorsqu'il devient assez gros pour imprimer au corps une nouvelle attitude l'attention une direction nouvelle A ce moment pr cis on trouve qu'on a chang d' tat La v rit est qu'on change sans cesse et que l' tat lui-m me est d j du changement C'est dire qu'il n'y a pas de diff rence essentielle entre passer d'un tat un autre et persister dans le m me tat Si l' tat qui reste le m me est plus vari qu'on ne le croit inversement le passage d'un tat a un autre ressemble plus qu'on ne se l'imagine un m me tat qui se prolonge la transition est continue Mais pr cis ment parce que nous fermons les yeux sur l'incessante variation de chaque tat psychologique nous sommes oblig s quand la variation est devenue si consid rable qu'elle s'impose notre attention de parier comme si un nouvel tat s' tait juxtapos au pr c dent De celui-ci nous supposons qu'il demeure invariable son tour et ainsi de suite ind finiment L'apparente discontinuit de la vie psychologique tient donc ce que notre attention se fixe sur elle par une s rie d'actes discontinus o il n'y a qu'une pente douce nous croyons apercevoir en suivant la ligne bris e de nos actes d'attention les marches d'un escalier Il est vrai que notre vie psychologique est pleine d'impr vu Mille incidents surgissent qui semblent trancher sur ce qui les pr c de ne point se rattacher ce qui les suit Mais la discontinuit de leurs apparitions se d tache sur la continuit d'un fond o ils se dessinent et auquel ils doivent les intervalles m mes qui les s parent ce sont les coups de timbale qui clatent de loin en loin dans la symphonie Notre attention se fixe sur eux parce qu'ils l'int ressent davantage mais chacun d'eux est port par la masse fluide de notre existence psychologique tout enti re Chacun d'eux n'est que le point le mieux clair d'une zone mouvante qui comprend tout ce que nous sentons pensons voulons tout ce que nous sommes enfin un moment donn C'est cette zone enti re qui constitue en r alit notre tat Or des tats ainsi d finis on peut dire qu'ils ne sont pas des l ments distincts Ils se continuent les uns les autres en un coulement sans fin Mais comme notre attention les a distingu s et s par s artificiellement elle est bien oblig e de les r unir ensuite par un lien artificiel Elle imagine ainsi un moi amorphe indiff rent immuable sur lequel d fileraient ou s'enfileraient les tats psychologiques qu'elle a rig s en entit s ind pendantes O il y a une fluidit de nuances fuyantes qui empi tent les unes sur les autres elle aper oit des couleurs tranch es et pour ainsi dire solides qui se juxtaposent comme les pertes vari es d'un collier force lui est de supposer alors un fil non moins solide qui retiendrait les perles ensemble Mais si ce substrat incolore est sans cesse color par ce qui le recouvre il est pour nous dans son ind termination comme s'il n'existait pas Or nous ne percevons pr cis ment que du color c'est- -dire des tats psychologiques A vrai dire ce substrat n'est pas une r alit c'est pour notre conscience un simple signe destin lui rappeler sans cesse le caract re artificiel de l'op ration par laquelle l'attention juxtapose un tat un tat l o il y a une continuit qui se d roule Si notre existence se composait d' tats s par s dont un moi impassible e t faire la synth se il n'y aurait pas pour nous de dur e Car un moi qui ne change pas ne dure pas et un tat psychologique qui reste identique lui-m me tant qu'il n'est pas remplac par l' tat suivant ne dure pas davantage On aura beau d s lors aligner ces tats les uns c t des autres sur le moi qui les soutient jamais ces solides enfil s sur du solide ne feront de la dur e qui coule La v rit est qu'on obtient ainsi une imitation artificielle de la vie int rieure un quivalent statique qui se pr tera mieux aux exigences de la logique et du langage pr cis ment parce qu'on en aura limin le temps r el Mais quant la vie psychologique telle qu'elle se d roule sous les symboles qui la recouvrent on s'aper oit sans peine que le temps en est l' toffe m me Il n'y a d'ailleurs pas d' toffe plus r sistante ni plus substantielle Car notre dur e n'est pas un instant qui remplace un instant il n'y aurait alors jamais que du pr sent pas de prolongement du pass dans l'actuel pas d' volution pas de dur e concr te La dur e est le progr s continu du pass qui ronge l'avenir et qui gonfle en avan ant Du moment que le pass s'accro t sans cesse ind finiment aussi il se conserve La m moire comme nous avons essay de le prouver n'est pas une facult de classer des souvenirs dans un tiroir ou de les inscrire sur un registre Il n'y a pas de registre pas de tiroir il n'y a m me pas ici proprement parler une facult car une facult s'exerce par intermittences quand elle veut ou quand elle peut tandis que l'amoncellement du pass sur le pass se poursuit sans tr ve En r alit le pass se conserve de lui-m me automatiquement Tout entier sans doute il nous suit tout instant ce que nous avons senti pens voulu depuis notre premi re enfance est l pench sur le pr sent qui va s'y joindre pressant contre la porte de la conscience qui voudrait le laisser dehors Le m canisme c r bral est pr cis ment fait pour en refouler la presque totalit dans l'inconscient et pour n'introduire dans la conscience que ce qui est de nature clairer la situation pr sente aider l'action qui se pr pare donner enfin un travail utile Tout au plus des souvenirs de luxe arrivent-ils par la porte entre-b ill e passer en contrebande Ceux-l messagers de l'inconscient nous avertissent de ce que nous tra nons derri re nous sans le savoir Mais lors m me que nous n'en aurions pas l'id e distincte nous sentirions vaguement que notre pass nous reste pr sent Que sommes-nous en effet qu'est-ce que notre caract re sinon la condensation de l'histoire que nous avons v cue depuis notre naissance avant notre naissance m me puisque nous apportons avec nous des dispositions pr natales Sans doute nous ne pensons qu'avec une petite partie de notre pass mais c'est avec notre pass tout entier y compris notre courbure d' me originelle que nous d sirons voulons agissons Notre pass se manifeste donc int gralement nous par sa pouss e et sous forme de tendance quoiqu'une faible part seulement en devienne repr sentation De cette survivance du pass r sulte l'impossibilit pour une conscience de traverser deux fois le m me tat Les circonstances ont beau tre les m mes ce n'est plus sur la m me personne qu'elles agissent puisqu'elles la prennent un nouveau moment de son histoire Notre personnalit qui se b tit chaque instant avec de l'exp rience accumul e change sans cesse En changeant elle emp che un tat f t-il identique lui-m me en surface de se r p ter jamais en profondeur C'est pourquoi notre dur e est irr versible Nous ne saurions en revivre une parcelle car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi Nous pourrions la rigueur rayer ce souvenir de notre intelligence mais non pas de notre volont Ainsi notre personnalit pousse grandit m rit sans cesse Chacun de ses moments est du nouveau qui s'ajoute ce qui tait auparavant Allons plus loin ce n'est pas seulement du nouveau mais de l'impr visible Sans doute mon tat actuel s'explique par ce qui tait en moi et par ce qui agissait sur moi tout l'heure Je n'y trouverais pas d'autres l ments en l'analysant Mais une intelligence m me surhumaine n'e t pu pr voir la forme simple indivisible qui donne ces l ments tout abstraits leur organisation concr te Car pr voir consiste projeter dans l'avenir ce qu'on a per u dans le pass ou se repr senter pour plus tard un nouvel assemblage dans un autre ordre des l ments d j per us Mais ce qui n'a jamais t per u et ce qui est en m me temps simple est n cessairement impr visible Or tel est le cas de chacun de nos tats envisag comme un moment d'une histoire qui se d roule il est simple et il ne peut pas avoir t d j per u puisqu'il concentre dans son indivisibilit tout le per u avec en plus ce que le pr sent y ajoute C'est un moment original d'une non moins originale histoire Le portrait achev s'explique par la physionomie du mod le par la nature de l'artiste par les couleurs d lay es sur la palette mais m me avec la connaissance de ce qui l'explique personne pas m me l'artiste n'e t pu pr voir exactement ce que serait le portrait car le pr dire e t t le produire avant qu'il f t produit hypoth se absurde qui se d truit elle-m me Ainsi pour les moments de notre vie dont nous sommes les artisans Chacun d'eux est une esp ce de cr ation Et de m me que le talent du peintre se forme ou se d forme en tout cas se modifie sous l'influence m me des oeuvres qu'il produit ainsi chacun de nos tats en m me temps qu'il sort de nous modifie notre personne tant la forme nouvelle que nous venons de nous donner On a donc raison de dire que ce que nous faisons d pend de ce que nous sommes mais il faut ajouter que nous sommes dans une certaine mesure ce que nous faisons et que nous nous cr ons continuellement nous-m mes Cette cr ation de soi par soi est d'autant plus compl te d'ailleurs qu'on raisonne mieux sur ce qu'on l'ait Car la raison ne proc de pas ici comme en g om trie o les pr misses sont donn es une fois pour toutes impersonnelles et o une conclusion impersonnelle s'impose Ici au contraire les m mes raisons pourront dicter des personnes diff rentes ou la m me personne des moments diff rents des actes profond ment diff rents quoique galement raisonnables A vrai dire ce ne sont pas tout fait les m mes raisons puisque ce ne sont pas celles de la m me personne ni du m me moment C'est pourquoi l'on ne peut pas op rer sur elles in abstracto du dehors comme en g om trie ni r soudre pour autrui les probl mes que la vie lui pose A chacun de les r soudre du dedans pour son compte Mais nous n'avons pas approfondir ce point Nous cherchons seulement quel sens pr cis notre conscience donne au mot exister et nous trouvons que pour un tre conscient exister consiste changer changer se m rir se m rir se cr er ind finiment soi-m me En dirait-on autant de l'existence en g n ral Un objet mat riel pris au hasard pr sente les caract res inverses de ceux que nous venons d' num rer Ou il reste ce qu'il est ou s'il change sous l'influence d'une force ext rieure nous nous repr sentons ce changement comme un d placement de parties qui elles ne changent pas Si ces parties s'avisaient de changer nous les fragmenterions leur tour Nous descendrons ainsi jusqu'aux mol cules dont les fragments sont faits jusqu'aux atomes constitutifs des mol cules jusqu'aux corpuscules g n rateurs des atomes jusqu' l' impond rable au sein duquel le corpuscule se formerait par un simple tourbillonnement Nous pousserons enfin la division ou l'analyse aussi loin qu'il le faudra Mais nous ne nous arr terons que devant l'immuable Maintenant nous disons que l'objet compos change par le d placement de ses parties Mais quand une partie a quitt sa position rien ne l'emp che de la reprendre Un groupe d' l ments qui a pass par un tat peut donc toujours y revenir sinon par lui-m me au moins par l'effet d'une cause ext rieure qui remet tout en place Cela revient dire qu'un tat du groupe pourra se r p ter aussi souvent qu'on voudra et que par cons quent le groupe ne vieillit pas Il n'a pas d'histoire Ainsi rien ne s'y cr e pas plus de la forme que de la mati re Ce que le groupe sera est d j pr sent dans ce qu'il est pourvu que l'on comprenne dans ce qu'il est tous les points de l'univers avec lesquels on le suppose en rapport Une intelligence surhumaine calculerait pour n'importe quel moment du temps la position de n'importe quel point du syst me dans l'espace Et comme il n'y a rien de plus dans la forme du tout que la disposition des parties les formes futures du syst me sont th oriquement visibles dans sa configuration pr sente Toute notre croyance aux objets toutes nos op rations sur les syst mes que la science isole reposent en effet sur l'id e que le temps ne mord pas sur eux Nous avons touch un mot de cette question dans un travail ant rieur Nous y reviendrons au cours de la pr sente tude Pour le moment bornons-nous faire remarquer que le temps abstrait attribu par la science un objet mat riel ou un syst me isol ne consiste qu'on un nombre d termin de simultan it s ou plus g n ralement de correspondances et que ce nombre reste le m me quelle que soit la nature des intervalles qui s parent les correspondances les unes des autres De ces intervalles il n'est jamais question quand on parle de la mati re brute ou si on les consid re c'est pour y compter des correspondances nouvelles entre lesquelles pourra encore se passer tout ce qu'on voudra Le sens commun qui ne s'occupe que d'objets d tach s comme d'ailleurs la science qui n'envisage que des syst mes isol s se place aux extr mit s des intervalles et non pas le long des intervalles m mes C'est pourquoi l'on pourrait supposer que le flux du temps pr t une rapidit infinie que tout le pass le pr sent et l'avenir des objets mat riels ou des syst mes isol s f t tal d'un seul coup dans l'espace il n'y aurait rien changer ni aux formules du savant ni m me au langage du sens commun Le nombre t signifierait toujours la m me chose Il compterait encore le m me nombre de correspondances entre les tats des objets ou des syst mes et les points de la ligne toute trac e que serait maintenant le cours du temps Pourtant la succession est un fait incontestable m me dans le monde mat riel Nos raisonnements sur les syst mes isol s ont beau impliquer que l'histoire pass e pr sente et future de chacun d'eux serait d pliable tout d'un coup en ventail cette histoire ne s'en d roule pas moins au fur et mesure comme si elle occupait une dur e analogue la n tre Si je veux me pr parer un verre d'eau sucr e j'ai beau faire je dois attendre que le sucre fonde Ce petit fait est gros d'enseignements Car le temps que j'ai attendre n'est plus ce temps math matique qui s'appliquerait aussi bien le long de l'histoire enti re du monde mat riel lors m me qu'elle serait tal e tout d'un coup dans l'espace Il co ncide avec mon impatience c'est- -dire avec une certaine portion de ma dur e moi qui n'est pas allongeable ni r tr cissable volont Ce n'est plus du pens c'est du v cu Ce n'est plus une relation c'est de l'absolu Qu'est-ce dire sinon que le verre d'eau le sucre et le processus de dissolution du sucre dans l'eau sont sans doute des abstractions et que le Tout dans lequel ils ont t d coup s par mes sens et mon entendement progresse peut- tre la mani re d'une conscience Certes l'op ration par laquelle la science isole et cl t un syst me n'est pas une op ration tout fait artificielle Si elle n'avait pas un fondement objectif on ne s'expliquerait pas qu'elle f t tout indiqu e dans certains cas impossible dans d'autres Nous verrons que la mati re a une tendance constituer des syst mes isolables qui se puissent traiter g om triquement C'est m me par cette tendance que nous la d finirons Mais ce n'est qu'une tendance La mati re ne va pas jusqu'au bout et l'isolement n'est jamais complet Si la science va jusqu'au bout et isole compl tement c'est pour la commodit de l' tude Elle sous-entend que le syst me dit isol reste soumis certaines influences ext rieures Elle les laisse simplement de c t soit parce qu'elle les trouve assez faibles pour les n gliger soit parce qu'elle se r serve d'en tenir compte plus tard Il n'en est pas moins vrai que ces influences sont autant de fils qui relient le syst me un autre plus vaste celui-ci un troisi me qui les englobe tous deux et ainsi de suite jusqu' ce qu'on arrive au syst me le plus objectivement isol et le plus ind pendant de tous le syst me solaire dans son ensemble Niais m me ici l'isolement n'est pas absolu Notre soleil rayonne de la chaleur et de la lumi re au del de la plan te la plus lointaine Et d'autre part il se meut entra nant avec lui les plan tes et leurs satellites dans une direction d termin e Le fil qui le rattache au reste de l'univers est sans doute bien t nu Pourtant C'est le long de ce fil que se transmet jusqu' la plus petite parcelle du monde O nous vivons la dur e immanente au tout de l'univers L'univers dure Plus nous approfondirons la nature du temps plus nous comprendrons que dur e signifie invention cr ation de formes laboration continue de l'absolument nouveau Les syst mes d limit s par la science ne durent que parce qu'ils sont indissolublement li s au reste de l'univers Il est vrai que dans l'univers lui-m me il faut distinguer comme nous le dirons plus loin deux mouvements oppos s l'un de descente l'autre de mont e Le premier ne fait que d rouler un rouleau tout pr par Il pourrait en principe s'accomplir d'une mani re presque instantan e comme il arrive un ressort qui se d tend Mais le second qui correspond un travail int rieur de maturation ou de cr ation dure essentiellement et impose son rythme au premier qui en est ins parable Rien n'emp che donc d'attribuer aux syst mes que la science isole une dur e et par l une forme d'existence analogue la n tre si on les r int gre dans le Tout Mais il faut les y r int grer Et l'on en dirait autant a fortiori des objets d limit s par notre perception Les contours distincts que nous attribuons un objet et qui lui conf rent son individualit ne sont que le dessin d'un certain genre d'influence que nous pourrions exercer en un certain point de l'espace c'est le plan de nos actions ventuelles qui est renvoy nos yeux comme par un miroir quand nous apercevons les surfaces et les ar tes des choses Supprimez cette action et par cons quent les grandes routes qu'elle se fraye d'avance par la perception dans l'enchev trement du r el l'individualit du corps se r sorbe dans l'universelle interaction qui est sans doute la r alit m me Maintenant nous avons consid r des objets mat riels pris au hasard N'y a-t-il pas des objets privil gi s Nous disions que les corps bruts sont taill s dans l' toffe de la nature par une perception dont les ciseaux suivent en quelque sorte le pointill des lignes sur lesquelles l'action passerait Mais le corps qui exercera cette action le corps qui avant d'accomplir des actions r elles projette d j sur la mati re le dessin de ses actions virtuelles la corps qui n'a qu' braquer ses organes sensoriels sur le flux du r el pour le faire cristalliser en formes d finies et cr er ainsi tous les autres corps le corps vivant enfin est-il un corps comme les autres Sans doute il consiste lui aussi en une portion d' tendue reli e au reste de l' tendue solidaire du Tout soumise aux m mes lois physiques et chimiques qui gouvernent n'importe quelle portion de la mati re Mais tandis que la subdivision de la mati re en corps isol s est relative notre perception tandis que la constitution de syst mes clos de points mat riels est relative notre science le corps vivant a t isol et clos par la nature elle-m me Il se compose de parties h t rog nes qui se compl tent les unes les autres Il accomplit des fonctions diverses qui s'impliquent les unes les autres C'est un individu et d'aucun autre objet pas m me du cristal on ne peut en dire autant puisqu'un cristal n'a ni h t rog n it de parties ni diversit de fonctions Sans doute il est malais de d terminer m me dans le monde organis ce qui est individu et ce qui ne l'est pas La difficult est d j grande dans le r gne animal elle devient presque insurmontable quand il s'agit des v g taux Cette difficult tient d'ailleurs des causes profondes sur lesquelles nous nous appesantirons plus loin On verra que l'individualit comporte une infinit de degr s et que nulle part pas m me chez l'homme elle n'est r alis e pleinement Mais ce n'est pas une raison pour refuser d'y voir une propri t caract ristique de la vie Le biologiste qui proc de en g om tre triomphe trop facilement ici de notre impuissance donner de l'individualit une d finition pr cise et g n rale Une d finition parfaite ne s'applique qu' une r alit faite or les propri t s vitales ne sont jamais enti rement r alis es mais toujours en voie de r alisation ce sont moins des tats que des tendances Et une tendance n'obtient tout ce qu'elle vise que si elle n'est contrari e par aucune autre tendance comment ce cas se pr senterait-il dans le domaine de la vie o il y a toujours comme nous le montrerons implication r ciproque de tendances antagonistes En particulier dans le cas de l'individualit on peut dire que si la tendance s'individuer est partout pr sente dans le monde organis elle est partout combattue par la tendance a se reproduire Pour que l'individualit f t parfaite il faudrait qu'aucune partie d tach e de l'organisme ne p t vivre s par ment Mais la reproduction deviendrait alors impossible Qu'est-elle en effet sinon la reconstitution d'un organisme nouveau avec un fragment d tach de l'ancien L'individualit loge donc son ennemi chez elle Le besoin m me qu'elle prouve de se perp tuer dans le temps la condamne n' tre jamais compl te dans l'espace Il appartient au biologiste de faire dans chacun des cas la part des deux tendances C'est donc en vain qu'on lui demande une d finition de l'individualit formulable une fois pour toutes et applicable automatiquement Mais trop souvent on raisonne sur les choses de la vie comme sur les modalit s de la mati re brute Nulle part la confusion n'est aussi visible que dans les discussions sur l'individualit On nous montre les tron ons d'un Lumbriculus r g n rant chacun leur t te et vivant d sormais comme autant d'individus ind pendants une Hydre dont les morceaux deviennent autant d'Hydres nouvelles un oeuf d'Oursin dont les fragments d veloppent des embryons complets o donc tait nous dit-on l'individualit de l uf de l'Hydre ou du Ver - Mais de ce qu'il y a plusieurs individualit s maintenant il ne suit pas qu'il n'y ait pas eu une individualit unique tout l'heure Je reconnais que lorsque j'ai vu plusieurs tiroirs tomber d'un meuble je n'ai plus le droit de dire que le meuble tait tout d'une pi ce Mais c'est qu'il ne peut rien y avoir de plus dans le pr sent de ce meuble que dans son pass et que s'il est fait de plusieurs pi ces h t rog nes maintenant il l' tait d s sa fabrication Plus g n ralement les corps inorganis s qui sont ceux dont nous avons besoin pour agir et sur lesquels nous avons model notre fa on de penser sont r gis par cette loi simple le pr sent ne contient rien de plus que le pass et ce qu'on trouve dans l'effet tait d j dans sa cause Mais supposons que le corps organis ait pour trait distinctif de cro tre et de se modifier sans cesse comme en t moigne d'ailleurs l'observation la plus superficielle il n'y aurait rien d' tonnant ce qu'il f t un d'abord et plusieurs ensuite La reproduction des organismes unicellulaires consiste en cela m me l' tre vivant se divise en deux moiti s dont chacune est un individu complet Il est vrai que chez les animaux plus complexes la nature localise dans des cellules dites sexuelles peu pr s ind pendantes le pouvoir de produire nouveau le tout Mais quelque chose de ce pouvoir peut rester diffus dans le reste de l'organisme comme le prouvent les faits de r g n ration et l'on con oit que dans certains cas privil gi s la facult subsiste int gralement l' tat latent et se manifeste la premi re occasion A vrai dire pour que j'aie le droit de parler d'individualit il n'est pas n cessaire que l'organisme ne puisse se scinder en fragments viables Il suffit que cet organisme ait pr sent une certaine syst matisation de parties avant la fragmentation et que la m me syst matisation tende se reproduire dans les fragments une fois d tach s Or c'est justement ce que nous observons dans le monde organis Concluons donc que l'individualit n'est jamais parfaite qu'il est souvent difficile parfois impossible de dire ce qui est individu et ce qui ne l'est pas mais que la vie n'en manifeste pas moins une recherche de l'individualit et qu'elle tend constituer des syst mes naturellement isol s naturellement clos Par l un tre vivant se distingue de tout ce que notre perception ou notre science isole ou cl t artificiellement On aurait donc tort de le comparer un objet Si nous voulions chercher dans l'inorganis un terme de comparaison ce n'est pas un objet mat riel d termin c'est bien plut t la totalit de l'univers mat riel que nous devrions assimiler l'organisme vivant Il est vrai que la comparaison ne servirait plus grand'chose car un tre vivant est un tre observable tandis que le tout de l'univers est construit ou reconstruit par la pens e Du moins notre attention aurait-elle t appel e ainsi sur le caract re essentiel de l'organisation Comme l'univers dans son ensemble comme chaque tre conscient pris part l'organisme qui vit est chose qui dure Son pass se prolonge tout entier dans son pr sent y demeure actuel et agissant Comprendrait-on autrement qu'il travers t des phases bien r gl es qu'il change t d' ge enfin qu'il e t une histoire Si je consid re mon corps en particulier je trouve que semblable ma conscience il se m rit peu peu de l'enfance la vieillesse comme moi il vieillit M me maturit et vieillesse ne sont proprement parler que des attributs de mon corps c'est par m taphore que je donne le m me nom aux changements correspondants de ma personne consciente Maintenant si je me transporte de haut en bas de l' chelle des tres vivants si je passe d'un des plus diff renci s l'un des moins diff renci s de l'organisme pluricellulaire de l'homme l'organisme unicellulaire de l'Infusoire je retrouve dans cette simple cellule le m me processus de vieillissement L'Infusoire s' puise au bout d'un certain nombre de divisions et si l'on peut en modifiant le milieu retarder le moment o un rajeunissement par conjugaison devient n cessaire on ne saurait le reculer ind finiment Il est vrai qu'entre ces deux cas extr mes o l'organisme est tout fait individualis on en trouverait une multitude d'autres o l'individualit est moins marqu e et dans lesquels bien qu'il y ait sans doute vieillissement quelque part on ne saurait dire un juste ce qui vieillit Encore une fois il n'existe pas de loi biologique universelle qui s'applique telle quelle automatique nient n'importe quel vivant Il n'y a que des directions o la vie lance les esp ces en g n ral Chaque esp ce particuli re dans l'acte m me par lequel elle se constitue affirme son ind pendance suit son caprice d vie plus ou moins de la ligne parfois m me remonte la pente et semble tourner le dos la direction originelle On n'aura pas de peine nous montrer qu'un arbre ne vieillit pas puisque ses rameaux terminaux sont toujours aussi jeunes toujours aussi capables d'engendrer par bouture des arbres nouveaux Mais dans un pareil organisme - qui est d'ailleurs une soci t plut t qu'un individu - quelque chose vieillit quand ce ne seraient que les feuilles et l'int rieur du tronc Et chaque cellule consid r e part volue d'une mani re d termin e Partout o quelque chose vit il y a ouvert quelque part un registre o le temps s'inscrit Ce n'est l dira-t-on qu'une m taphore - Il est de l'essence du m canisme en effet de tenir pour m taphorique toute expression qui attribue au temps une action efficace et une r alit propre L'observation imm diate a beau nous montrer que le fond m me de notre existence consciente est m moire c'est- -dire prolongation du pass dans le pr sent c'est- -dire enfin dur e agissante et irr versible Le raisonnement a beau nous prouver que plus nous nous cartons des objets d coup s et des syst mes isol s par le sens commun et la science plus nous avons affaire une r alit qui change en bloc dans ses dispositions int rieures comme si une m moire accumulatrice du pass y rendait impossible le retour en arri re L'instinct m canistique de l'esprit est plus fort que le raisonnement plus fort que l'observation imm diate Le m taphysicien que nous portons inconsciemment en nous et dont la pr sence s'explique comme on le verra plus loin par la place m me que l'homme occupe dans l'ensemble des tres vivants a ses exigences arr t es ses explications faites ses th ses irr ductibles toutes se ram nent la n gation de la dur e concr te Il faut que le changement se r duise un arrangement ou un d rangement de parties que l'irr versibilit du temps soit une apparence relative notre ignorance que l'impossibilit du retour en arri re ne soit que l'impuissance de l'homme remettre les choses en place D s lors le vieillissement ne peut plus tre que l'acquisition progressive ou la perte graduelle de certaines substances peut- tre les deux la fois Le temps a juste autant de r alit pour un tre vivant que pour un sablier o le r servoir d'en haut se vide tandis que le r servoir d'en bas se remplit et o l'on peut remettre les choses en place en retournant l'appareil Il est vrai qu'on n'est pas d'accord sur ce qui se gagne ni sur ce qui se perd entre le jour de la naissance et celui de la mort On s'est attach l'accroissement continuel du volume du protoplasme depuis la naissance de la cellule jusqu' sa mort Plus vraisemblable et plus profonde est la th orie qui fait porter la diminution sur la quantit de substance nutritive renferm e dans le milieu int rieur o l'organisme se renouvelle et l'augmentation sur la quantit des substances r siduelles non excr t es qui en s'accumulant dans le corps finissent par l' encro ter Faut-il n anmoins avec un microbiologiste minent d clarer insuffisante toute explication du vieillissement qui ne tient pas compte de la phagocytose Nous n'avons pas qualit pour trancher la question Mais le fait que les deux th ories s'accordent affirmer la constante accumulation ou la perte constante d'une certaine esp ce de mati re alors que dans la d termination de ce qui se gagne et de ce qui se perd elles n'ont plus grand'chose de commun montre assez que le cadre de l'explication a t fourni a priori Nous le verrons de mieux en mieux mesure que nous avancerons dans notre tude il n'est pas facile quand on pense au temps d' chapper l'image du sablier La cause du vieillissement doit tre plus profonde Nous estimons qu'il y a continuit ininterrompue entre l' volution de l'embryon et celle de l'organisme complet La pouss e en vertu de laquelle l' tre vivant grandit se d veloppe et vieillit est celle m me qui lui a fait traverser les phases de la vie embryonnaire Le d veloppement de l'embryon est un perp tuel changement de forme Celui qui voudrait en noter tous les aspects successifs se perdrait dans un infini comme il arrive quand on a affaire une continuit De cette volution pr natale la vie est le prolongement La preuve en est qu'il est souvent impossible de dire si l'on a affaire un organisme qui vieillit ou un embryon qui continue d' voluer tel est le cas des larves d'Insectes et de Crustac s par exemple D'autre part dans un organisme comme le n tre des crises telles que la pubert ou la m nopause qui entra nent la transformation compl te de l'individu sont tout fait comparables aux changements qui s'accomplissent au cours de la vie larvaire ou embryonnaire pourtant elles font partie int grante de notre vieillissement Si elles se produisent un ge d termin et en un temps qui peut tre assez court personne ne soutiendra qu'elles surviennent alors ex abrupto du dehors simplement parce qu'on a atteint un certain ge comme l'appel sous les drapeaux arrive celui qui a vingt ans r volus Il est vident qu'un changement comme celui de la pubert se pr pare tout instant depuis la naissance et m me avant la naissance et que le vieillissement de l' tre vivant jusqu' cette crise consiste en partie au moins dans cette pr paration graduelle Bref ce qu'il y a de proprement vital dans le vieillissement est la continuation insensible infiniment divis e du changement de forme Des ph nom nes de destruction organique l'accompagnent d'ailleurs sans aucun doute A ceux-l s'attachera une explication m canistique du vieillissement Elle notera les faits de scl rose l'accumulation graduelle des substances r siduelles l'hypertrophie grandissante du protoplasme de la cellule Mais sous ces effets visibles se dissimule une cause int rieure L' volution de l' tre vivant comme celle de l'embryon implique un enregistrement continuel de la dur e une persistance du pass dans le pr sent et par cons quent une apparence au moins de m moire organique L' tat pr sent d'un corps brut d pend exclusivement de ce qui se passait l'instant pr c dent La position des points mat riels d'un syst me d fini et isol par la science est d termin e par la position de ces m mes points au moment imm diatement ant rieur En d'autres termes les lois qui r gissent la mati re inorganis e sont exprimables en principe par des quations diff rentielles dans lesquelles le temps au sens o le math maticien prend ce mot jouerait le r le de variable ind pendante En est-il ainsi des lois de la vie L' tat d'un corps vivant trouve-t-il son explication compl te dans l' tat imm diatement ant rieur Oui si l'on convient a priori d'assimiler le corps vivant aux autres corps de la nature et de l'identifier pour les besoins de la cause avec les syst mes artificiels sur lesquels op rent le chimiste le physicien et l'astronome Mais en astronomie en physique et en chimie la proposition a un sens bien d termin elle signifie que certains aspects du pr sent importants pour la science sont calculables en fonction du pass imm diat Rien de semblable dans le domaine de la vie Ici le calcul a prise tout au plus sur certains ph nom nes de destruction organique De la cr ation organique au contraire des ph nom nes volutifs qui constituent proprement la vie nous n'entrevoyons m me pas comment nous pourrions les sou mettre un traitement math matique On dira que cette impuissance ne tient qu' notre ignorance Mais elle peut aussi bien exprimer que le moment actuel d'un corps vivant ne trouve pas sa raison d' tre dans le moment imm diatement ant rieur qu'il faut y joindre tout le pass de l'organisme son h r dit enfin l'ensemble d'une tr s longue histoire En r alit c'est la seconde de ces deux hypoth ses qui traduit l' tat actuel des sciences biologiques et m me leur direction Quant l'id e que le corps vivant pourrait tre soumis par quelque calculateur surhumain au m me traitement math matique que notre syst me solaire elle est sortie peu pou d'une certaine m taphysique qui a pris une forme plus pr cise depuis les d couvertes physiques de Galil e mais qui - nous le montrerons - fut toujours la m taphysique naturelle de l'esprit humain Sa clart apparente notre impatient d sir de la trouver vraie l'empressement avec lequel tant d'excellents esprits l'acceptent sans preuve toutes les s ductions enfin qu'elle exerce sur notre pens e devraient nous mettre en garde contre elle L'attrait qu'elle a pour nous prouve assez qu'elle donne satisfaction une inclination inn e Mais comme on le verra plus loin les tendances intellectuelles aujourd'hui inn es que la vie a d cr er au cours de son volution sont faites pour tout autre chose que pour nous fournir une explication de la vie C'est l'opposition de cette tendance qu'on vient se heurter d s qu'on veut distinguer entre un syst me artificiel et un syst me naturel entre le mort et le vivant Elle fait qu'on prouve une gale difficult penser que l'organis dure et que l'inorganis ne dure pas Eh quoi dira-t-on en affirmant que l' tat d'un syst me artificiel d pend exclusivement de son tat au moment pr c dent ne faites-vous pas intervenir le temps ne mettez-vous pas le syst me dans la dur e Et d'autre part ce pass qui selon vous fait corps avec le moment actuel de l tre vivant la m moire organique ne le contracte-t-elle pas tout entier dans le moment imm diatement ant rieur qui d s lors devient la cause unique de l' tat pr sent - Parler ainsi est m conna tre la diff rence capitale qui s pare le temps concret le long duquel un syst me r el se d veloppe et le temps abstrait qui intervient dans nos sp culations sur les syst mes artificiels Quand nous disons que l' tat d'un syst me artificiel d pend de ce qu'il tait au moment imm diatement ant rieur qu'entendons-nous par l Il n'y a pas il ne peut pas y avoir d'instant imm diatement ant rieur un instant pas plus qu'il n'y a de point math matique contigu un point math matique L'instant imm diatement ant rieur est en r alit celui qui est reli l'instant pr sent par l'intervalle dt Tout ce que nous voulons dire est donc que l' tat pr sent du syst me est d fini par des quations o entrent des coefficients diff rentiels tels que c'est- -dire au fond des vitesses pr sentes et des acc l rations pr sentes C'est donc enfin du pr sent seulement qu'il est question d'un pr sent qu'on prend il est vrai avec sa tendance Et de fait les syst mes sur lesquels la science op re sont dans un pr sent instantan qui se renouvelle sans cesse jamais dans la dur e r elle concr te o le pass fait corps avec le pr sent Quand le math maticien calcule l' tat futur d'un syst me au bout du temps t rien ne l'emp che de supposer que d'ici l l'univers mat riel s' vanouisse pour r appara tre tout coup C'est le t i me moment seul qui compte - quelque chose qui sera un pur instantan Ce qui coulera dans l'intervalle c'est- -dire le temps r el ne compte pas et ne peut pas entrer dans le calcul Que si le math maticien d clare se placer dans cet intervalle c'est toujours en un certain point un certain moment je veux dire l'extr mit d'un temps t qu'il se transporte et c'est alors de l'intervalle qui va jusqu'en T ' qu'il n'est plus question Que s'il divise l'intervalle en parties infiniment petites par la consid ration de la diff rentielle dt il exprime simplement par l qu'il consid rera des acc l rations et des vitesses c'est- -dire des nombres qui notent des tendances et qui permettent de calculer l' tat du syst me un moment donn mais c'est toujours d'un moment donn je veux dire arr t qu'il est question et non pas du temps qui coule Bref le monde sur lequel le math maticien op re est un monde qui meurt et rena t chaque instant celui-l m me auquel pensait Descartes quand il parlait de cr ation continu e Mais dans le temps ainsi con u comment se repr senter une volution c'est- -dire le trait caract ristique de la vie L' volution elle implique une continuation r elle du pass par le pr sent une dur e qui est un trait d'union En d'autres termes la connaissance d'un tre vivant ou syst me naturel est une connaissance qui porte sur l'intervalle m me de dur e tandis que la connaissance d'un syst me artificiel ou math matique ne porte que sur l'extr mit Continuit de changement conservation du pass dans le pr sent dur e vraie l' tre vivant semble donc bien partager ces attributs avec la conscience Peut-on aller plus loin et dire que la vie est invention comme l'activit consciente cr ation incessante comme elle Du transformisme et des mani res de l'interpr ter Le m canisme radical biologie et physico-chimie Le finalisme radical biologie et philosophie Retour la table des mati res Il n'entre pas dans notre dessein d' num rer ici les preuves du transformisme Nous voulons seulement expliquer en deux mots pourquoi nous l'accepterons dans le pr sent travail comme une traduction suffisamment exacte et pr cise des faits connus L'id e du transformisme est d j en germe dans la classification naturelle des tres organis s Le naturaliste rapproche en effet les uns des autres les organismes qui se ressemblent puis divise le groupe en sous-groupes l'int rieur desquels la ressemblance est plus grande encore et ainsi de suite tout la long de l'op ration les caract res du groupe apparaissent comme des th mes g n raux sur lesquels chacun des sous-groupes ex cuterait ses variations particuli res Or telle est pr cis ment la relation que nous trouvons dans le monde animal et dans le monde v g tal entre ce qui engendre et ce qui est engendr sur le canevas que l'anc tre trans met ses descendants et que ceux-ci poss dent en commun chacun met sa broderie originale Il est vrai que les diff rences entre le descendant et l'ascendant sont l g res et qu'on peut se demander si une m me mati re vivante pr sente assez de plasticit pour rev tir successivement des formes aussi diff rentes que celles d'un Poisson d'un Reptile et d'un Oiseau Mais cette question l'observation r pond d'une mani re p remptoire Elle nous montre que jusqu' une certaine p riode de son d veloppement l'embryon de l'Oiseau se distingue peine de celui du Reptile et que l'individu d veloppe travers la vie embryonnaire en g n ral une s rie de transformations comparables celles par lesquelles on passerait d'apr s l volutionnisme d'une esp ce une autre esp ce Une seule cellule obtenue par la combinaison des deux cellules m le et femelle accomplit ce travail en se divisant Tous les jours sous nos yeux les formes les plus hautes de la vie sortent d'une forme tr s l mentaire L'exp rience tablit donc que le plus complexe a pu sortir du plus simple par voie d' volution Maintenant en est-il sorti effectivement La pal ontologie malgr l'insuffisance de ses documents nous invite le croire car l o elle retrouve avec quelque pr cision l'ordre de succession des esp ces cet ordre est justement celui que des consid rations tir es de l'embryog nie et de l'anatomie compar es auraient fait supposer et chaque nouvelle d couverte pal ontologique apporte au transformisme une nouvelle confirmation Ainsi la preuve tir e de l'observation pure et simple va toujours se renfor ant tan dis que d'autre part l'exp rimentation carte les objections une une c'est ainsi que les curieuses exp riences de H de Vries par exemple en montrant que des variations importantes peuvent se produire brusquement et se transmettre r guli rement font tomber quelques-unes des plus grosses difficult s que la th se soulevait Elles nous permettent d'abr ger beaucoup le temps que l' volution biologique paraissait r clamer Elles nous rendent aussi moins exigeants vis- -vis de la pal ontologie De sorte qu'en r sum l'hypoth se transformiste appara t de plus en plus comme une expression au moins approximative de la v rit Elle n'est pas d montrable rigoureusement mais au-dessous de la certitude que donne la d monstration th orique ou exp rimentale il y a cette probabilit ind finiment croissante qui suppl e l' vidence et qui y tend comme sa limite tel est le genre de probabilit que le transformisme pr sente Admettons pourtant que le transformisme soit convaincu d'erreur Supposons qu'on arrive tablir par inf rence ou par exp rience que les esp ces sont n es par un processus discontinu dont nous n'avons aujourd'hui aucune id e La doctrine serait-elle atteinte dans ce qu'elle a de plus int ressant et pour nous de plus important La classification subsisterait sans doute dans ses grandes lignes Les donn es actuelles de l'embryologie subsisteraient galement La correspondance subsisterait entre l'embryog nie compar e et l'anatomie compar e D s lors la biologie pourrait et devrait continuer tablir entre les formes vivantes les m mes relations que suppose aujourd'hui le transformisme la m me parent Il s'agirait il est vrai d'une parent id ale et non plus d'une filiation mat rielle Mais comme les donn es actuelles de la pal ontologie subsisteraient aussi force serait bien d'admettre encore que c'est successivement et non pas simultan ment que sont apparues les formes entre lesquelles une parent id ale se r v le Or la th orie volutionniste dans ce qu'elle a d'important aux yeux du philosophe n'en demande pas davantage Elle consiste surtout constater des relations de parent id ale et soutenir que l o il y a ce rapport de filiation pour ainsi dire logique entre des formes il y a aussi un rapport de succession chronologique entre les esp ces o ces formes se mat rialisent Cette double th se subsisterait en tout tat de cause Et d s lors il faudrait bien encore supposer une volution quelque part - soit dans une Pens e cr atrice o les id es des diverses esp ces se seraient engendr es les unes les autres exactement comme le transformisme veut que les esp ces elles-m mes se soient engendr es sur la terre - soit dans un plan d'organisation vitale immanent la nature qui s'expliciterait peu peu o les rapports de filiation logique et chronologique entre les formes pures seraient pr cis ment ceux que le transformisme nous pr sente comme des rapports de filiation r elle entre des individus vivants - soit enfin dans quelque cause inconnue de la vie qui d velopperait ses effets comme si les uns engendraient les autres On aurait donc simplement transpos l' volution On l'aurait fait passer du visible dans l'invisible Presque tout ce que le transformisme nous dit aujourd'hui se conserverait quitte s'interpr ter d'une autre mani re Ne vaut-il pas mieux d s lors s'en tenir la lettre du transformisme tel que le professe la presque unanimit des savants Si l'on r serve la question de savoir dans quelle mesure cet volutionnisme d crit les faits et dans quelle mesure il les symbolise il n'a rien d'inconciliable avec les doctrines qu'il a pr tendu remplacer m me avec celle des cr ations s par es laquelle on l'oppose g n ralement C'est pourquoi nous estimons que le langage du transformisme s'impose maintenant toute philosophie comme l'affirmation dogmatique du transformisme s'impose la science Mais alors il ne faudra plus parler de la vie en g n ral comme d'une abstraction ou comme d'une simple rubrique sous laquelle on inscrit tous les tres vivants A un certain moment en certains points de l'espace un courant bien visible a pris naissance ce courant de vie traversant les corps qu'il a organis s tour tour passant de g n ration en g n ration s'est divis entre les esp ces et parpill entre les individus sans rien perdre de sa force s'intensifiant plut t mesure qu'il avan ait On sait que dans la th se de la continuit du plasma germinatif soutenue par Weismann les l ments sexuels de l'organisme g n rateur transmettraient directement leurs propri t s aux l ments sexuels de l'organisme engendr Sous cette forme extr me la th se a paru contestable car c'est dans des cas exceptionnels seulement qu'on voit s' baucher les glandes sexuelles d s la segmentation de l'ovule f cond Mais si les cellules g n ratrices des l ments sexuels n'apparaissent pas en g n ral d s le d but de la vie embryonnaire il n'en est pas moins vrai qu'elles se forment toujours aux d pens de tissus de l'embryon qui n'ont encore subi aucune diff renciation fonctionnelle particuli re et dont les cellules se composent de protoplasme non modifi En d'autres termes le pouvoir g n tique de l'ovule f cond s'affaiblit mesure qu'il se r partit sur la masse grandissante des tissus de l'embryon mais pendant qu'il se dilue ainsi il concentre nouveau quelque chose de lui-m me sur un certain point sp cial sur les cellules d'o na tront les ovules ou les spermatozo des On pourrait donc dire que si le plasma germinatif n'est pas continu il y a du moins continuit d' nergie g n tique cette nergie ne se d pensant que quelques instants juste le temps de donner l'impulsion la vie embryonnaire et se ressaisissant le plus t t possible dans de nouveaux l ments sexuels o encore une fois elle attendra son heure Envisag e de ce point de vue la vie appara t comme un courant qui va d'un germe a un germe par l'interm diaire d'un organisme d velopp Tout se passe comme si l'organisme lui-m me n' tait qu'une excroissance un bourgeon que fait saillir le germe ancien travaillant se continuer en un germe nouveau L'essentiel est la continuit de progr s qui se poursuit ind finiment progr s invisible sur lequel chaque organisme visible chevauche pendant le court intervalle de temps qu'il lui est donn de vivre Or plus on fixe son attention sur cette continuit de la vie plus on voit l' volution organique se rapprocher de celle d'une conscience o le pass presse contre le pr sent et en fait jaillir une forme nouvelle incommensurable avec ses ant c dents Que l'apparition d'une esp ce v g tale ou animale soit due des causes pr cises nul ne le contestera Mais il faut entendre par l que si l'on connaissait apr s coup le d tail de ces causes on arriverait expliquer par elles la forme qui s'est produite de la pr voir il ne saurait tre question Dira-t-on qu'on pourrait la pr voir si l'on connaissait dans tous leurs d tails les conditions o elle se produira Mais ces conditions font corps avec elle et ne font m me qu'un avec elle tant caract ristiques du moment o la vie se trouve alors de son histoire comment supposer connue par avance une situation qui est unique en son genre qui ne s'est pas encore produite et ne se reproduira jamais On ne pr voit de l'avenir que ce qui ressemble au pass ou ce qui est recomposable avec des l ments semblables ceux du pass Tel est le cas des faits astronomiques physiques chimiques de tous ceux qui font partie d'un syst me o se juxtaposent simplement des l ments cens s immuables o il ne se produit que des changements de position o il n'y a pas d'absurdit th orique imaginer que les choses soient remises en place o par cons quent le m me ph nom ne total ou du moins les m mes ph nom nes l mentaires peuvent se r p ter Mais d'une situation originale qui communique quelque chose de son originalit ses l ments c'est- -dire aux vues partielles qu'on prend sur elle comment pourrait-on se la figurer donn e avant qu'elle se produise Tout ce qu'on peut dire est qu'elle s'explique une fois produite par les l ments que l'analyse y d couvre Mais ce qui est vrai de la production d'une nouvelle esp ce l'est aussi de celle d'un nouvel individu et plus g n ralement de n'importe quel moment de n'importe quelle forme vivante Car s'il faut que la variation ait atteint une certaine importance et une certaine g n ralit pour qu'elle donne naissance une esp ce nouvelle elle se produit tout moment continue insensible dans chaque tre vivant Et les mutations brusques elles-m mes dont on nous parle aujourd'hui ne sont videmment possibles que si un travail d'incubation ou mieux de maturation s'est accompli travers une s rie de g n rations qui paraissaient ne pas changer En ce sens on pourrait dire de la vie comme de la conscience qu' chaque instant elle cr e quelque chose Mais contre cette id e de l'originalit et de l'impr visibilit absolues des formes toute notre intelligence s'insurge Notre intelligence telle que l' volution de la vie l'a model e a pour fonction essentielle d' clairer notre conduite de pr parer notre action sur les choses de pr voir pour une situation donn e les v nements favorables ou d favorables qui pourront s'ensuivre Elle isole donc instinctivement dans une situation ce qui ressemble au d j connu elle cherche le m me afin de pouvoir appliquer son principe que le m me produit le m me En cela consiste la pr vision de l'avenir par le sens commun La science porte cette op ration au plus haut degr possible d'exactitude et de pr cision mais elle n'en alt re pas le caract re essentiel Comme la connaissance usuelle la science ne retient des choses que l'aspect r p tition Si le tout est original elle s'arrange pour l'analyser en l ments ou en aspects qui soient peu pr s la reproduction du pass Elle ne peut op rer que sur ce qui est cens se r p ter c'est- -dire sur ce qui est soustrait par hypoth se l'action de la dur e Ce qu'il y a d'irr ductible et d'irr versible dans les moments successifs d'une histoire lui chappe Il faut pour se repr senter cette irr ductibilit et cette irr versibilit rompre avec des habitudes scientifiques qui r pondent aux exigences fondamentales de la pens e faire violence l'esprit remonter la pente naturelle de l'intelligence Mais l est pr cis ment le r le de la philosophie C'est pourquoi la vie a beau voluer sous nos yeux comme une cr ation continue d'impr visible forme toujours l'id e subsiste que forme impr vusibilit et continuit sont de pures apparences o se refl tent autant d'ignorances Ce qui se pr sente aux sens comme une histoire continue se d composerait nous dira-t-on en tats successifs Ce qui vous donne l'impression d'un tat original se r sout l'analyse en faits l mentaires dont chacun est la r p tition d un fait connu Ce que vous appelez une forme impr visible n'est qu'un arrangement nouveau d' l ments anciens Les causes l mentaires dont l'ensemble a d termin cet arrangement sont elles-m mes des causes anciennes qui se r p tent en adoptant un ordre nouveau La connaissance des l ments et des causes l mentaires e t permis de dessiner par avance la forme vivante qui en est la somme et le r sultat Apr s avoir r solu l'aspect biologique des ph nom nes en facteurs physico-chimiques nous sauterons au besoin par-dessus la physique et la chimie elles-m mes nous irons des masses aux mol cules des mol cules aux atomes des atomes aux corpuscules il faudra bien que nous arrivions enfin quelque chose qui se puisse traiter comme une esp ce de syst me solaire astronomiquement Si vous le niez vous contestez le principe m me du m canisme scientifique et vous d clarez arbitrairement que la mati re vivante n'est pas faite des m mes l ments que l'autre - Nous r pondrons que nous ne contestons pas l'identit fondamentale de la mati re brute et de la mati re organis e L'unique question est de savoir si les syst mes naturels que nous appelons des tres vivants doivent tre assimil s aux syst mes artificiels que la science d coupe dans la mati re brute ou s'ils ne devraient pas plut t tre compar s ce syst me naturel qu'est le tout de l'univers Que la vie soit une esp ce de m canisme je le veux bien Mais est-ce le m canisme des parties artificiellement isolables dans le tout de l'univers ou celui du tout r el Le tout r el pourrait bien tre disions-nous une continuit indivisible les syst mes que nous y d coupons n'en seraient point alors proprement parler des parties ce seraient des vues partielles prises sur le tout Et avec ces vues partielles mises bout bout vous n'obtiendrez m me pas un commencement de recomposition de l'ensemble pas plus qu'en multipliant les photographies d'un objet sous mille aspects divers vous n'en reproduirez la mat rialit Ainsi pour la vie et pour les ph nom nes physico-chimiques en lesquels on pr tendrait la r soudre L'analyse d couvrira sans doute dans les processus de cr ation organique un nombre croissant de ph nom nes physico-chimiques Et c'est quoi s'en tiendront les chimistes et les physiciens Mais il ne suit pas de l que la chimie et la physique doivent nous donner la clef de la vie Un l ment tr s petit d'une courbe est presque une ligne droite Il ressemblera d'autant plus une ligne droite qu'on le prendra plus petit A la limite on dira comme on voudra qu'il fait partie d'une droite ou d'une courbe En chacun de ses points en effet la courbe se confond avec sa tangente Ainsi la vitalit est tangente en importe quel point aux forces physiques et chimiques mais ces points ne sont en somme que les vues d'un esprit qui imagine des arr ts tels ou tels moments du mouvement g n rateur de la courbe En r alit la vie n'est pas plus faite d' l ments physico-chimiques qu'une courbe n'est compos e de lignes droites D'une mani re g n rale le progr s le plus radical qu'une science puisse accomplir consiste faire entrer les r sultats d j acquis dans un ensemble nouveau par rapport auquel ils deviennent des vues instantan es et immobiles prises de loin en loin sur la continuit d'un mouvement Telle est par exemple la relation de la g om trie les modernes celle des anciens Celle-ci purement statique op rait sur les figures une fois d crites celle-l tudie la variation d'une fonction c'est- -dire la continuit du mouvement qui d crit la figure On peut sans doute pour plus de rigueur liminer de nos proc d s math matiques toute consid ration de mouvement il n'en est pas moins vrai que l'introduction du mouvement dans la gen se des figures est l'origine de la math matique moderne Nous estimons que si la biologie pouvait jamais serrer son objet d'aussi pr s que la math matique serre le sien elle deviendrait a la physico-chimie des corps organis s ce que la math matique des modernes s'est trouv e tre la g om trie antique Les d placements tout superficiels de masses et de mol cules que la physique et la chimie tudient deviendraient par rapport ce mouvement vital qui se produit en profondeur qui est transformation et non plus translation ce que la station d'un mobile est au mouvement de ce mobile dans l'espace Et autant que nous pouvons le pressentir le proc d par lequel on passerait de la d finition d'une certaine action vitale au syst me de faits physico-chimiques qu'elle implique ne serait pas sans analogie avec l'op ration par laquelle on va de la fonction sa d riv e de l' quation de la courbe c'est- -dire de la loi du mouvement continu par lequel la courbe est engendr e a l' quation de la tangente qui en donne la direction instantan e Une pareille science serait une m canique de la transformation dont notre m canique de la translation deviendrait un cas particulier une simplification une projection sur le plan de la quantit pure Et de m me qu'il existe une infinit de fonctions ayant m me diff rentielle ces fonctions diff rant les unes des autres par une constante ainsi peut- tre l'int gration des l ments physico-chimiques d'une action proprement vitale ne d terminerait cette action qu'en partie une part serait laiss e l'ind termination Mais tout au plus peut-on r ver une pareille int gration nous ne pr tendons pas que le r ve devienne jamais r alit Nous avons seulement voulu en d veloppant autant que possible une certaine comparaison montrer par o notre th se se rapproche du pur m canisme et comment elle s'en distingue On pourra d'ailleurs pousser assez loin l'imitation du vivant par l'inorganis Non seulement la chimie op re des synth ses organiques mais on arrive reproduire artificiellement le dessin ext rieur de certains faits d'organisation tels que la division indirecte de la cellule et la circulation protoplasmique On sait que le protoplasme de la cellule effectue des mouvements vari s l'int rieur de son enveloppe D'autre part la division dite indirecte de la cellule se fait par des op rations d'une complication extr me dont les unes int ressent le noyau et les autres le cytoplasme Ces derni res commencent par le d doublement du centrosome petit corps sph rique situ c t du noyau Les deux centrosomes ainsi obtenus s' loignent l'un de l'autre attirent eux les tron ons coup s et aussi d doubl s du filament qui composait essentiellement le noyau primitif et aboutissent former deux nouveaux noyaux autour desquels se constituent les deux nouvelles cellules qui succ deront la premi re Or on a r ussi imiter dans leurs grandes lignes et dans leur apparence ext rieure quelques-unes au moins de ces op rations Si l'on pulv rise du sucre ou du sol de cuisine qu'on y ajoute de l'huile tr s vieille et qu'on regarde au microscope une goutte du m lange on aper oit une mousse structure alv olaire dont la configuration ressemble d'apr s certains th oriciens celle du protoplasme et dans laquelle s'accomplissent en tous cas des mouvements qui rappellent beaucoup ceux de la circulation protoplasmique Si dans une mousse du m me genre on extrait l'air d'un alv ole on voit se dessiner un c ne d'attraction analogue ceux qui se forment autour des centrosomes pour aboutir la division du noyau Il n'est pas jusqu'aux mouvements ext rieurs d'un organisme unicellulaire ou tout au moins d'une Amibe qu'on ne croie pouvoir expliquer m caniquement Les d placements de l'Amibe dans une goutte d'eau seraient comparables au va-et-vient d'un grain de poussi re dans une chambre o portes et fen tres ouvertes font circuler des courants d'air Sa masse absorbe sans cesse certaines mati res solubles contenues dans l'eau ambiante et lui en renvoie certaines autres ces changes continuels semblables ceux qui s'effectuent entre deux r cipients s par s par une cloison poreuse cr eraient autour du petit organisme un tourbillon sans cesse changeant Quant aux prolongements temporaires ou pseudopodes que l'Amibe para t se donner ils seraient moins envoy s par elle qu'attir s hors d'elle par une esp ce d'aspiration ou de succion du milieu ambiant De proche en proche on tendra ce mode d'explication aux mouvements plus complexes que l'Infusoire lui-m me ex cute avec ses cils vibratiles lesquels ne sont d'ailleurs probablement que des pseudopodes consolid s Toutefois il s'en faut que les savants soient d'accord entre eux sur la valeur des explications et des sch mas de ce genre Des chimistes ont fait remarquer qu' ne consid rer m me que l'organique et sans aller jusqu' l'organis la science n'a reconstitu jusqu'ici que les d chets de l'activit vitale - les substances proprement actives plastiques restent r fractaires la synth se Un des plus remarquables naturalistes de notre temps a insist sur l'opposition des deux ordres de ph nom nes que l'on constate dans les tissus vivants anagen se d'un c t et catagen se de l'autre Le r le des nergies anag n tiques est d' lever les nergies inf rieures leur propre niveau par l'assimilation des substances inorganiques Elles construisent les tissus Au contraire le fonctionnement m me de la vie l'exception toutefois de l'assimilation de la croissance et de la reproduction est d'ordre catag n tique descente d' nergie et non plus mont e C'est sur ces faits d'ordre catag n tique seulement que la physico-chimie aurait prise c'est- -dire en somme sur du mort et non sur du vivant Et il est certain que les faits du premier genre paraissent r fractaires l'analyse physico-chimique m me s'ils ne sont pas au sens propre du mot anag n tiques Quant l'imitation artificielle de l'aspect ext rieur du protoplasme doit-on y attacher une r elle importance th orique alors qu'on n'est pas encore fix sur la configuration physique de cette substance De le recomposer chimiquement il peut encore moins tre question pour le moment Enfin une explication physico-chimique des mouvements de l'Amibe plus forte raison des d marches d'un Infusoire para t impossible beaucoup de ceux qui ont observ de pr s ces organismes rudimentaires Jusque dans ces manifestations les plus humbles de la vie ils aper oivent la trace d'une activit psychologique efficace Mais ce qui est instructif par-dessus tout c'est de voir combien l' tude approfondie des ph nom nes histologiques d courage souvent au lieu de la fortifier la tendance a tout expliquer par la physique et la chimie Telle est la conclusion du livre vraiment admirable que l'histologiste E -B Wilson a consacr au d veloppement de la cellule L' tude de la cellule para t en somme avoir largi plut t que r tr ci l' norme lacune qui s pare du monde inorganique les formes m me les plus basses de la vie En r sum ceux qui ne s'occupent que de l'activit fonctionnelle de l' tre vivant sont port s croire que la physique et la chimie nous donneront la clef des processus biologiques ls ont surtout affaire en effet aux ph nom nes qui se r p tent sans cesse dans l' tre vivant comme dans une cornue Par l s'expliquent en partie les tendances m canistiques de la physiologie Au contraire ceux dont l'attention se concentre sur la fine structure des tissus vivants sur leur gen se et leur volution histologistes et embryog nistes d'une part naturalistes de l'autre sont en pr sence de la cornue elle-m me et non plus seulement de son contenu Ils trouvent que cette cornue cr e sa propre forme le long d'une s rie unique d'actes constituant une v ritable histoire Ceux-l histologistes embryog nistes ou naturalistes sont loin de croire aussi volontiers que les physiologistes au caract re physico-chimique des actions vitales A vrai dire ni l'une ni l'autre des deux th ses ni celle qui affirme ni celle qui nie la possibilit de jamais produire chimiquement un organisme l mentaire ne peut invoquer l'autorit de l'exp rience Elles sont toutes deux inv rifiables la premi re parce que la science n'a pas encore avanc d'un pas vers la synth se chimique d'une substance vivante la seconde parce qu'il n'existe aucun moyen concevable de prouver exp rimentalement l'impossibilit d'un fait Mais nous avons expos les raisons th oriques qui nous emp chent d'assimiler l' tre vivant syst me clos par la nature aux syst mes que notre science isole Ces raisons ont moins de force nous le reconnaissons quand il s'agit d'un organisme rudimentaire tel que l'Amibe qui volue peine Mais elles en acqui rent davantage si l'on consid re un organisme plus complexe qui accomplit un cycle r gl de transformations Plus la dur e marque l' tre vivant de son empreinte plus videmment l'organisme se distingue d'un m canisme pur et simple sur lequel la dur e glisse sans le p n trer Et la d monstration prend sa plus grande force quand elle porte sur l' volution int grale de la vie depuis ses plus humbles origines jusqu' ses formes actuelles les plus hautes en tant que cette volution constitue par l'unit et la continuit de la mati re anim e qui la supporte une seule indivisible histoire Aussi ne comprenons-nous pas que l'hypoth se volutionniste passe en g n ral pour tre apparent e la conception m canistique de la vie De cette conception m canistique nous ne pr tendons pas sans doute apporter une r futation math matique et d finitive Mais la r futation que nous tirons des consid rations de dur e et qui est notre avis la seule r futation possible acquiert d'autant plus de rigueur et devient d'autant plus probante qu'on se place plus franchement dans l'hypoth se volutionniste Il faut que nous insistions sur ce point Mais indiquons d'abord en termes plus nets la conception de la vie o nous nous acheminons Les explications m canistiques disions-nous sont valables pour les syst mes que notre pens e d tache artificiellement du tout Mais du tout lui-m me et des syst mes qui dans ce tout se constituent naturellement son image on ne peut admettre a priori qu'ils soient explicables m caniquement car alors le temps serait inutile et m me irr el L'essence des explications m caniques est en effet de consid rer l'avenir et le pass comme calculables en fonction du pr sent et de pr tendre ainsi que tout est donn Dans cette hypoth se pass pr sent et avenir seraient visibles d'un seul coup pour une intelligence surhumaine capable d'effectuer le calcul Aussi les savants qui ont cru l'universalit et la parfaite objectivit des explications m caniques ont-ils fait consciemment ou inconsciemment une hypoth se de ce genre Laplace la formulait d j avec la plus grande pr cision Une intelligence qui pour un instant donn conna trait toutes les forces dont la nature est anim e et la situation respective des tres qui la composent si d'ailleurs elle tait assez vaste pour soumettre ces donn es l'Analyse embrasserait dans la m me formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus l ger atome rien ne serait incertain pour elle et l'avenir comme le pass serait pr sent ses yeux Et Du Bois-Reymond On peut imaginer la connaissance de la nature arriv e un point o le processus universel du monde serait repr sent par une formule math matique unique par un seul immense syst me d' quations diff rentielles simultan es d'o se tireraient pour chaque moment la position la direction et la vitesse de chaque atome du monde Huxley de son c t a exprim sous une forme plus concr te la m me id e Si la proposition fondamentale de l' volution est vraie a savoir que le monde entier anim et inanim est le r sultat de l'interaction mutuelle selon des lois d finies des forces poss d es par les mol cules dont la n bulosit primitive de l'univers tait compos e alors il n'est pas moins certain que le monde actuel reposait potentiellement dans la vapeur cosmique et qu'une intelligence suffisante aurait pu connaissant les propri t s des mol cules de cette vapeur pr dire par exemple l' tat de la faune de la Grande-Bretagne en avec autant de certitude que lorsqu'on dit ce qui arrivera la vapeur de la respiration pendant une froide journ e d'hiver - Dans une pareille doctrine on parle encore du temps on prononce le mot mais on ne pense gu re la chose Car le temps y est d pourvu d'efficace et du moment qu'il ne fait rien il n'est rien Le m canisme radical implique une m taphysique o la totalit du r el est pos e en bloc dans l' ternit et o la dur e apparente des choses exprime simplement l'infirmit d'un esprit qui ne peut pas conna tre tout la fois Mais la dur e est bien autre chose que cela pour notre conscience c'est- -dire pour ce qu'il y a de plus indiscutable dans notre exp rience Nous percevons la dur e comme un courant qu'on ne saurait remonter Elle est le fond de notre tre et nous le sentons bien la substance m me des choses avec lesquelles nous sommes en communication En vain on fait briller nos yeux la perspective d'une math matique universelle nous ne pouvons sacrifier l'exp rience aux exigences d'un syst me C'est pourquoi nous repoussons le m canisme radical Mais le finalisme radical nous para t tout aussi inacceptable et pour la m me raison La doctrine de la finalit sous sa forme extr me telle que nous la trouvons chez Leibniz par exemple implique que les choses et les tres ne font que r aliser un programme une fois trac Mais s'il n'y a rien d'impr vu point d'invention ni de cr ation dans l'univers le temps devient encore inutile Comme dans l'hypoth se m canistique on suppose encore ici que tout est donn Le finalisme ainsi entendu n'est qu'un m canisme rebours Il s'inspire du m me postulat avec cette seule diff rence que dans la course de nos intelligences finies le long de la succession toute apparente des choses il met en avant de nous la lumi re avec laquelle il pr tend nous guider au lieu de la placer derri re Il substitue l'attraction de l'avenir l'impulsion du pass Mais la succession n'en reste pas moins une pure apparence comme d'ailleurs la course elle-m me Dans la doctrine de Leibniz le temps se r duit une perception confuse relative au point de vue humain et qui s' vanouirait semblable un brouillard qui tombe pour un esprit place au centre des choses Toutefois le finalisme n'est pas comme le m canisme une doctrine aux lignes arr t es Il comporte autant d'in fl chissements qu'on voudra lui en imprimer La philosophie m canistique est prendre ou laisser il faudrait la laisser si le plus petit grain de poussi re en d viant de la trajectoire pr vue par la m canique manifestait la plus l g re trace de spontan it Au contraire la doctrine des causes finales ne sera jamais r fut e d finitivement Si l'on en carte une forme elle en prendra une autre Son principe qui est d'essence psychologique est tr s souple Il est si extensible et par l m me si large qu'on en accepte quelque chose d s qu'on repousse le m canisme pur La th se que nous exposerons dans ce livre participera donc n cessairement du finalisme dans une certaine mesure C'est pourquoi il importe d'indiquer avec pr cision ce que nous allons en prendre et ce que nous entendons en laisser Disons tout de suite qu'on nous parait faire fausse route quand on att nue le finalisme leibnizien en le fractionnant l'infini Telle est pourtant la direction que la doctrine de la finalit a prise On sent bien que si l'uni vers dans son ensemble est la r alisation d'un plan cela ne saurait se montrer empiriquement On sent bien aussi que m me si l'on s'en tient au monde organis il n'est gu re plus facile de prouver que tout y soit harmonie Les faits interrog s diraient aussi bien le contraire La nature met les tres vivants aux prises les uns avec les autres Elle nous pr sente partout le d sordre c t de l'ordre la r gression c t du progr s Mais ce qui n'est affirmable ni de l'ensemble de la mati re ni de l'ensemble de la vie ne serait-il pas vrai de chaque organisme pris part N'y remarque-t-on pas une admirable division du travail une merveilleuse solidarit entre les parties l'ordre parfait dans la complication infinie En ce sens chaque tre vivant ne r alise-t-il pas un plan immanent sa substance Cette th se consiste au fond briser en morceaux l'antique conception de la finalit On n'accepte pas on tourne m me volontiers en ridicule l'id e d'une finalit externe en vertu de laquelle les tres vivants seraient coordonn s les uns aux autres il est absurde dit-on de supposer que l'herbe ait t faite pour la vache l'agneau pour le loup Mais il y a une finalit interne chaque tre est fait pour lui-m me toutes ses parties se concertent pour le plus grand bien de l'ensemble et s'organisent avec intelligence en vue de cette fin Telle est la conception de la finalit qui a t pendant longtemps classique Le finalisme s'est r tr ci au point de ne jamais embrasser plus d'un tre vivant la fois En se faisant plus petit il pensait sans doute offrir moins de surface aux coups La v rit est qu'il s'y exposait bien davantage Si radicale que notre th se elle-m me puisse para tre la finalit est externe ou elle n'est rien du tout Consid rons en effet l'organisme le plus complexe et le plus harmonieux Tous les l ments nous dit-on conspirent pour le plus grand bien de l'ensemble Soit mais n'oublions pas que chacun des l ments peut tre lui-m me dans certains cas un organisme et qu'en subordonnant l'existence de ce petit organisme la vie du grand nous acceptons le principe d'une finalit externe La conception d'une finalit toujours interne se d truit ainsi elle-m me Un organisme est compos de tissus dont chacun vit pour son compte Les cellules dont les tissus sont faits ont aussi une certaine ind pendance A la rigueur si la subordination de tous les l ments de l'individu l'individu lui-m me tait compl te on pourrait refuser de voir en eux des organismes r server ce nom l'individu et ne parler que de finalit interne Mais chacun sait que ces l ments peuvent poss der une v ritable autonomie Sans parler des phagocytes qui poussent l'ind pendance jusqu' attaquer l'organisme qui les nourrit sans parler des cellules germinales qui ont leur vie propre c t des cellules somatiques il suffit de mentionner les faits de r g n ration ici un l ment ou un groupe d' l ments manifeste soudain que si en temps normal il s'assujettissait n'occuper qu'une petite place et n'accomplir qu'une fonction sp ciale il pouvait faire beaucoup plus il pouvait m me dans certain cas se consid rer comme l' quivalent du tout L est la pierre d'achoppement des th ories vitalistes Nous ne leur reprocherons pas comme on le fait d'ordinaire de r pondre la question par la question m me Sans doute le principe vital n'explique pas grand-chose du moins a-t-il l'avantage d' tre une esp ce d' criteau pos sur notre ignorance et qui pourra nous la rappeler l'occasion tandis que le m canisme nous invite l'oublier Mais la v rit est que la position du vitalisme est rendue tr s difficile par le fait qu'il n'y a ni finalit purement interne ni individualit absolument tranch e dans la nature Les l ments organis s qui entrent dans la composition de l'individu ont eux-m mes une certaine individualit et revendiqueront chacun leur principe vital si l'individu doit avoir le sien Mais d'autre part l'individu lui-m me n'est pas assez ind pendant pas assez isol du reste pour que nous puissions lui accorder un principe vital propre Un organisme tel que celui d'un Vert br sup rieur est le plus individu de tous les organismes pourtant si l'on remarque qu'il n'est que le d veloppement d'un ovule qui faisait partie du corps de sa m re et d'un spermatozo de qui appartenait au corps de son p re que l' uf c'est- -dire l'ovule f cond est un v ritable trait d'union entre les deux prog niteurs puisqu'il est commun leurs deux substances on s'aper oit que tout organisme individuel f t-ce celui d'un homme est un simple bourgeon qui a pouss sur le corps combin de ses deux parents O commence alors o finit le principe vital de l'individu De proche en proche on reculera jusqu' ses plus lointains anc tres on le trouvera solidaire de chacun d'eux solidaire de cette petite masse de gel e protoplasmique qui est sans doute la racine de l'arbre g n alogique de la vie Faisant corps dans une certaine mesure avec cet anc tre primitif il est galement solidaire de tout ce qui s'en est d tach par voie de descendance divergente en ce sens on peut dire qu'il reste uni la totalit des vivants par d'invisibles liens C'est donc en vain qu'on pr tend r tr cir la finalit l'individualit de l' tre vivant S'il y a de la finalit dans le monde de la vie elle embrasse la vie enti re dans une seule indivisible treinte Cette vie commune tous les vivants pr sente sans aucun doute bien des incoh rences et bien des lacunes et d'autre part elle n'est pas si math matiquement une qu'elle ne puisse laisser chaque vivant s'individualiser dans une certaine mesure Elle n'en forme pas moins un seul tout et il faut opter entre la n gation pure et simple de la finalit et l'hypoth se qui coordonne non seulement les parties d'un organisme l'organisme lui-m me mais encore chaque tre vivant l'ensemble des autres Ce n'est pas en pulv risant la finalit qu'on la fera passer plus facilement Ou l'hypoth se d'une finalit immanente la vie doit tre rejet e en bloc ou c'est dans un tout autre sens croyons-nous qu'il faut la modifier L'erreur du finalisme radical comme d'ailleurs celle du m canisme radical est d' tendre trop loin l'application de certains concepts naturels notre intelligence Originellement nous ne pensons que pour agir C'est dans le moule de l'action que notre intelligence a t coul e La sp culation est un luxe tandis que l'action est une n cessit Or pour agir nous commen ons par nous pro poser un but nous faisons un plan puis nous passons au d tail du m canisme qui le r alisera Cette derni re op ration n'est possible que si nous savons sur quoi nous pouvons compter Il faut que nous ayons extrait de la nature des similitudes qui nous permettent d'anticiper sur l'avenir Il faut donc que nous ayons fait application consciemment ou inconsciemment de la loi de causalit D'ailleurs mieux se dessine dans notre esprit l'id e de la causalit efficiente plus la causalit efficiente prend la forme d'une causalit m canique Cette derni re relation son tour est d'autant plus math matique qu'elle exprime une plus rigoureuse n cessit C'est pourquoi nous n'avons qu' suivre la pente de notre esprit pour devenir math maticiens Mais d'autre part cette math matique naturelle n'est que le soutien inconscient de notre habitude consciente d'encha ner les m mes causes aux m mes effets et cette habitude elle-m me a pour objet ordinaire de guider des actions inspir es par des intentions ou ce qui revient au m me de diriger des mouvements combin s en vue de l'ex cution d'un mod le nous naissons artisans comme nous naissons g om tres et m me nous ne sommes g om tres que parce que nous sommes artisans Ainsi l'intelligence humaine en tant que fa onn e aux exigences de l'action humaine est une intelligence qui proc de la fois par intention et par calcul par la coordination de moyens une fin et par la repr sentation de m canismes formes de plus en plus g om triques Qu'on se figure la nature comme une immense machine r gie par des lois math matiques ou qu'on y voie la r alisation d'un plan on ne fait dans les deux cas que suivre jusqu'au bout deux tendances de l'esprit qui sont compl mentaires l'une de l'autre et qui ont leur origine dans les m mes n cessit s vitales C'est pourquoi le finalisme radical est tout pr s du m canisme radical sur la plupart des points L'une et l'autre doctrines r pugnent voir dans le cours des choses ou m me simplement dans le d veloppement de la vie une impr visible cr ation de forme Le m canisme n'envisage de la r alit que l'aspect similitude ou r p tition Il est donc domin par cette loi qu'il n'y a dans la nature que du m me reproduisant du m me Mieux se d gage la g om trie qu'il contient moins il peut admettre que quelque chose se cr e ne f t-ce que de la forme En tant que nous sommes g om tres nous repoussons donc l'impr visible Nous pourrions l'accepter assur ment en tant que nous sommes artistes car l'art vit de cr ation et implique une croyance latente la spontan it de la nature Mais l'art d sint ress est un luxe comme la pure sp culation Bien avant d' tre artistes nous sommes artisans Et toute fabrication si rudimentaire soit-elle vit sur des similitudes et des r p titions comme la g om trie naturelle qui lui sert de point d'appui Elle travaille sur des mod les qu'elle se propose de reproduire Et quand elle invente elle proc de ou s'imagine proc der par un arrangement nouveau d' l ments connus Son principe est qu' il faut le m me pour obtenir le m me Bref l'application rigoureuse du principe de finalit comme celle du principe de causalit m canique conduit la conclusion que tout est donn Les deux principes disent la m me chose dans leurs deux langues parce qu'ils r pondent au m me besoin C'est pourquoi ils s'accordent encore faire table rase du temps La dur e r elle est celle qui mord sur les choses et qui y laisse l'empreinte de sa dent Si tout est dans le temps tout change int rieurement et la m me r alit concr te ne se r p te jamais La r p tition n'est donc possible que dans l'abstrait ce qui se r p te c'est tel ou tel aspect que nos sens et surtout notre intelligence ont d tach de la r alit pr cis ment parce que notre action sur laquelle tout l'effort de notre intelligence est tendu ne se peut mouvoir que parmi des r p titions Ainsi concentr e sur ce qui se r p te uniquement pr occup e de souder le m me au m me l'intelligence se d tourne de la vision du temps Elle r pugne au fluent et solidifie tout ce qu'elle touche Nous ne pensons pas le temps r el Mais nous le vivons parce que la vie d borde l'intelligence Le sentiment que nous avons de notre volution et de l' volution de toutes choses dans la pure dur e est l dessinant autour de la repr sentation intellectuelle proprement dite une frange ind cise qui va se perdre dans la nuit M canisme et finalisme s'accordent ne tenir compte que du noyau lumineux qui brille au centre Ils oublient que ce noyau s'est form aux d pens du reste par voie de condensation et qu'il faudrait se servir de tout du fluide autant et plus que du condens pour ressaisir le mouvement int rieur de la vie A vrai dire si la frange existe m me indistincte et floue elle doit avoir plus d'importance encore pour le philosophe que le noyau lumineux qu'elle entoure Car c'est sa pr sence qui nous permet d'affirmer que le noyau est un noyau que l'intelligence toute pure est un r tr cissement par condensation d'une puissance plus vaste Et justement parce que cette vague intuition ne nous est d'aucun secours pour diriger notre action sur les choses action tout enti re localis e la surface du r el on peut pr sumer qu'elle ne s'exerce plus simplement en surface mais en profondeur D s que nous sortons des cadres o le m canisme et le finalisme radical enferment notre pens e la r alit nous appara t comme un jaillissement ininterrompu de nouveaut s dont chacune n'a pas plut t surgi pour faire le pr sent qu'elle a d j recul dans le pass cet instant pr cis elle tombe sous le regard de l'intelligence dont les yeux sont ternellement tourn s en arri re Tel est d j le cas de notre vie int rieure A chacun de nos actes on trouvera sans peine des ant c dents dont il serait en quelque sorte la r sultante m canique Et l'on dira aussi bien que chaque action est l'accomplissement d'une intention En ce sens le m canisme est partout et la finalit partout dans l' volution de notre conduite Mais pour peu que l'action int resse l'ensemble de notre personne et soit v ritablement n tre elle n'aurait pu tre pr vue encore que ses ant c dents l'expliquent une fois accomplie Et tout en r alisant une intention elle diff re elle r alit pr sente et neuve de l'intention qui ne pouvait tre qu'un projet de recommencement ou de r arrangement du pass M canisme et finalisme ne sont donc ici que des vues ext rieures prises sur notre conduite Ils en extraient l'intellectualit Mais notre conduite glisse entre les deux et s' tend beaucoup plus loin Cela ne veut pas dire encore une fois que l'action libre soit l'action capricieuse d raisonnable Se conduire par caprice consiste osciller m caniquement entre deux ou plusieurs partis tout faits et se fixer pourtant enfin sur l'un d'eux ce n'est pas avoir m ri une situation int rieure ce n'est pas avoir volu c'est si paradoxale que cette assertion puisse para tre avoir pli la volont imiter le m canisme de l'intelligence Au contraire une conduite vraiment n tre est celle d'une volont qui ne cherche pas contrefaire l'intelligence et qui restant elle-m me c'est- -dire voluant aboutit par voie de maturation graduelle des actes que l'intelligence pourra r soudre ind finiment en l ments intelligibles sans y arriver jamais compl tement l'acte libre est incommensurable avec l'id e et sa rationalit doit se d finir par cette incommensurabilit m me qui permet d'y trouver autant d'intelligibilit qu'on voudra Tel est le caract re de notre volution int rieure Et tel est aussi sans doute celui de l' volution de la vie Notre raison incurablement pr somptueuse s'imagine poss der par droit de naissance ou par droit de conqu te inn s ou appris tous les l ments essentiels de la connaissance de la v rit L m me o elle avoue ne pas conna tre l'objet qu'on lui pr sente elle croit que son ignorance porte seulement sur la question de savoir quelle est celle de ses cat gories anciennes qui convient l'objet nouveau Dans quel tiroir pr t s'ouvrir le ferons-nous entrer De quel v tement d j coup allons-nous l'habiller Est-il ceci ou cela ou autre chose et ceci et cela et autre chose sont toujours pour nous du d j con u du d j connu L'id e que nous pourrions avoir cr er de toutes pi ces pour un objet nouveau un nouveau concept peut- tre une nouvelle m thode de penser nous r pugne profond ment L'histoire de la philosophie est l cependant qui nous montre l' ternel conflit des syst mes l'impossibilit de faire entrer d finitivement le r el dans ces v tements de confection que sont nos concepts tout faits la n cessit de travailler sur mesure Plut t que d'en venir cette extr mit notre raison aime mieux annoncer une fois pour toutes avec une orgueilleuse modestie qu'elle ne conna tra que du relatif et que l'absolu n'est pas de son ressort cette d claration pr liminaire lui permet d'appliquer sans scrupule sa m thode habituelle de penser et sous pr texte qu'elle ne touche pas l'absolu de trancher absolument sur toutes choses Platon fut le premier riger en th orie que conna tre le r el consiste lui trouver son Id e c'est -dire le faire entrer dans un cadre pr existant qui serait d j notre disposition - comme si nous poss dions implicitement la science universelle Mais cette croyance est naturelle a l'intelligence humaine toujours pr occup e de savoir sous quelle ancienne rubrique elle cataloguera n'importe quel objet nouveau et l'on pourrait dire en un certain sens que nous naissons tout platoniciens Nulle part l'impuissance de cette m thode ne s' tale aussi manifestement que dans les th ories de la vie Si en voluant dans la direction des Vert br s en g n ral de l'homme et de l'intelligence en particulier la Vie a d abandonner en route bien des l ments incompatibles avec ce mode particulier d'organisation et les confier comme nous le montrerons a d'autres lignes de d veloppement c'est la totalit de ces l ments que nous devrons rechercher et fondre avec l'intelligence proprement dite pour ressaisir la vraie nature de l'activit vitale Nous y serons sans doute aid s d'ailleurs par la frange de repr sentation confuse qui entoure notre repr sentation distincte je veux dire intellectuelle que peut tre cette frange inutile en effet sinon la partie du principe voluant qui ne s'est pas r tr cie la forme sp ciale de notre organisation et qui a pass en contrebande C'est donc l que nous devrons aller chercher des indications pour dilater la forme intellectuelle de -notre pens e c'est l que nous puiserons l' lan n cessaire pour nous hausser au-dessus de nous-m mes Se repr senter l'ensemble de la vie ne peut pas consister combiner entre elles des id es simples d pos es en nous par la vie elle-m me au cours de son volution comment la partie quivaudrait-elle au tout le contenu au contenant un r sidu de l'op ration vitale l'op ration elle-m me Telle est pourtant notre illusion quand nous d finissons l' volution de la vie par le passage de l'homog ne l'h t rog ne ou par tout autre concept obtenu en composant entre eux des fragments d'intelligence Nous nous pla ons en un des points d'aboutissement de l' volution le principal sans doute mais non pas le seul en et point m me nous ne prenons pas tout ce qui s'y trouve car nous ne retenons de l'intelligence qu'un ou deux des concepts o elle s'exprime et c'est cette partie d'une partie que nous d clarons repr sentative du tout de quelque chose m me qui d borde le tout consolid je veux dire du mouvement volutif dont ce tout n'est que la phase actuelle La v rit est que ce ne serait pas trop ce ne serait pas assez ici de prendre l'intelligence enti re Il faudrait encore rapprocher d'elle ce que nous trouvons en chaque autre point terminus de l' volution Et il faudrait consid rer ces l ments divers et divergents comme autant d'extraits qui sont ou du moins qui furent sous leur forme la plus humble compl mentaires les uns des autres Alors seulement nous pressentirions la nature r elle du mouvement volutif - encore ne ferions-nous que la pressentir car nous n'aurions toujours affaire qu' l' volu qui est un r sultat et non pas l' volution m me c'est- -dire l'acte par lequel le r sultat s'obtient Telle est la philosophie de la vie o nous nous acheminons Elle pr tend d passer la fois le m canisme et le finalisme mais comme nous l'annoncions d'abord elle se rapproche de la seconde doctrine plus que de la premi re Il ne sera pas inutile d'insister sur ce point et de montrer en termes plus pr cis par o elle ressemble au finalisme et par o elle en diff re Comme le finalisme radical quoique sous une forme plus vague elle nous repr sentera le monde organis comme un ensemble harmonieux Mais cette harmonie est loin d' tre aussi parfaite qu'on l'a dit Elle admet bien des discordances parce que chaque esp ce chaque individu m me ne retient de l'impulsion globale de la vie qu'un certain lan et tend utiliser cette nergie dans son int r t propre en cela consiste l'adaptation L'esp ce et l'individu ne pensent ainsi qu' eux - d'o un conflit possible avec les autres formes de la vie L'harmonie n'existe donc pas en fait elle existe plut t en droit je veux dire que l' lan originel est un lan commun et que plus on remonte haut plus les tendances diverses apparaissent comme compl mentaires les unes des autres Tel le vent qui s'engouffre dans un carrefour se divise en courants d'air divergents qui ne sont tous qu'un seul et m me souffle L'harmonie ou plut t la compl mentarit ne se r v le qu'en gros dans les tendances plut t que dans les tats Surtout et c'est le point sur lequel le finalisme s'est le plus gravement tromp l'harmonie se trouverait plut t en arri re qu'en avant Elle tient une identit d'impulsion et non pas une aspiration commune C'est en vain qu'on voudrait assigner la vie un but au sens humain du mot Parier d'un but est penser un mod le pr existant qui n'a plus qu' se r aliser C'est donc sup poser au fond que tout est donn que l'avenir pourrait se lire dans le pr sent C'est croire que la vie dans son mouvement et dans son int gralit proc de comme notre intelligence qui n'est qu'une vue immobile et fragmentaire prise sur elle et qui se place toujours naturellement en dehors du temps La vie elle progresse et dure Sans doute on pourra toujours en jetant un coup d' il sur le chemin une fois parcouru en marquer la direction la noter en termes psychologiques et parler comme s'il y avait eu poursuite d'un but C'est ainsi que nous parlerons nous-m mes Mais du chemin qui allait tre parcouru l'esprit humain n'a rien dire car le chemin a t cr au

Related Downloads
Explore
Post your homework questions and get free online help from our incredible volunteers
  1249 People Browsing
Your Opinion
Where do you get your textbooks?
Votes: 372