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Philosophie chinoise.docx

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Contributor: gh0st
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Philosophie chinoise Estampage des pierres regravées en 1615 d'après la gravure de 992, encre sur papier 10 fascicules reliés en 1 volume, 27 x 19 cm. Paris, BnF, Manuscrits  orientaux. Au lieu d’une nouvelle réflexion sur les religions seulement occidentales, méditerranéennes, nous cherchons une réciprocité entre l’Asie et l’Europe occidentale. Il s’agit de penser la religion ni en Occident, ni seulement en Asie, mais dans un entre-deux du religieux, dans l’interstice énigmatique entre le monothéisme occidental et les sagesses de l’Orient. Nous commencerons par une introduction critique à la religion chinoise, à partir de Marcel Granet, La religion des Chinois, mais aussi La civilisation chinoise, et enfin La pensée chinoise. C’est le versant asiatique de notre réflexion et la mise au point de problèmes établis à partir de ces textes. Cette pensée chinoise ou cette religion chinoise, s’opposent à l’un des développements majeurs de la religion de l’Occident, à savoir, dans le catholicisme de la fin du vingtième siècle, la théologie de la libération. Nous rencontrerons alors un sociologue jésuite, Michel de Certeau, La fable mystique, puis une somme d’essais, La faiblesse de croire. Cette double approche analyse un arc intellectuel maximal : si Certeau présente les développements post-phénoménologiques sur la religion catholique,  Granet introduit des développements sur la religion archaïque de la Chine. Pourtant, ces deux pôles, à la fois les plus loin et les plus près, sont deux savoirs développés au même moment dans le même Paris. D’une certaine manière, ces œuvres présentent les audaces les plus grandes des Occidentaux, soit vers le dépaysement, soit vers l’approfondissement d’une tradition propre, jésuite. Or les jésuites sont les premiers présents en Chine et Certeau exprime cette idéologie jésuite qui présida à la présence de l’Occident en Chine. Nous interrogerons Granet et Certeau dont la commune vocation est de penser le phénomène chinois. L’analyse des poèmes du Tao Te King ouvre la question du chemin de la voie et de la vertu qui problématise le rapport des Chinois avec l’espace religieux qui trouve son pendent ou son horizon dans les textes de mystiques que Certeau travaille, en particulier des lettres du Père Surin. Ces corpus approfondissent la relation médiatisée et réciproque entre l’Orient et l’Occident. Enfin, René Guénon est impliqué dans ces questions, notamment La grande triade, qui présente sa lecture de la Chine. Ce texte ressemble à un testament métaphysique marqué par les analyses de Granet. Que nous enseigne la religion des Chinois? En admettant l’idée que la Chine représente l’exemple presque unique d’un peuple athée, de quoi témoigne cet athéisme? La Science nouvelle de Vico porte une thèse sur la structure du développement des civilisations : il n’y a pas de civilisation athée. L’édition de 1744 assure qu’il n’est pas possible d’être sage sans d’abord être pieux. Ce mot «pieux» ne renvoie pas seulement à une piété catholique propre à la Naples du dix-huitième siècle, mais il est le syntagme latin construit autour d’Énée, le pieux Énée. La piété fondatrice que demande Vico n’est pas une ligne seulement catholique de la Naples baroque, mais enracine le fait social dans un paganisme pieux. Cette piété doit être à l’égard des dieux. Le caractère organique d’une société est sa piété et sa révérence à l’égard des dieux. Le frontispice de La Science nouvelle met au centre de l’image un autel sur lequel se tient une femme - allégorie de la métaphysique - qui le protège. Cet autel est le symbole de la métaphysique qui regarde le triangle divin apparaissant dans une nuée. Les Chinois inventent une forme de piété qui ne s’adresse pas d’abord aux dieux mais à la révérence à l’égard des morts et des parents. Ce monde choisit une piété de l’immanence. Certes le décalogue prend en compte la piété due aux parents, mais elle vient après l’affirmation fulgurante, centrale, absolue, de la révérence à l’égard de Dieu. Le grand événement qui nous occupe est cette civilisation de cinq mille ans qui constitue son ordre et son équilibre interne en faisant l’économie de la première affirmation du décalogue. Cette ablation du monothéisme et du polythéisme nous rend fous de Chine et la compréhension de ce phénomène devient indispensable pour approfondir le dialogue possible entre l’Asie et l’Occident.  Mais tous les peuples qui procèdent de la Chine ne continuent pas forcément dans cette ligne. Ainsi, le Japon a une double structure spirituelle. Il est marqué par un bouddhisme d’une école particulière développée dans ces îles, sans avoir pour autant la vocation à constituer un dieu. Bouddha est un fait psychique avant d’être une représentation religieuse. Il se situe au-delà de toute concrétion ou de toute personnalité divines. Le bouddhisme commence avant les dieux, c’est un acte mental pré-déistique. Les activités de la vie sociale, les rites liés à la mort, sont tournés du côté du bouddhisme.   Mais les Japonais reconstituent une religion de la lumière antérieure au bouddhisme, qui est l’axe cardinal de la société japonaise : le shintoïsme. Il procède du culte d’une déesse de la lumière, dont la consistance fait problème. Il semble qu’il y a une forme de piété à l’égard d’une déesse qui se spécifie au Japon dans le caractère divin de l’empereur. Ce dernier est le premier à sacrifier à cette déesse en constituant ainsi l'unité du peuple japonais. Le Japon avait par le bouddhisme une vocation à l’athéisme, mais le shintoïsme et le culte des Kama sont l’exemple d’un retour du divin dans cette triade entre la déesse, l’empereur et les Kama. Les îles du Japon sont celles des dix milles dieux. Le témoignage du Japon porte moins sur un athéisme que sur l’idée d’une terre sacrée qui conduit à une piété propre au Japon, à une élection de ce pays. Ceci place le peuple dans une relation unique, non partageable, élue, spécifique, du peuple japonais et de son empereur. Dans cette dialectique entre le monothéisme et l’athéisme, le Japon est à la fois plus athée et beaucoup moins athée que la Chine. En revanche, la question de l’athéisme chinois se redouble aujourd’hui par la question profonde d’une religion sans piété déistique. C’est aussi un peuple dévasté par la révolution culturelle, un peuple qui a tâché de détruire totalement ses traditions. En comparant le Japon et la Chine, au Japon nous rencontrons sans cesse, à chaque coin de rue, un temple. Tandis que dans la Chine occidentale il n’y a pas la moindre trace d’un signe religieux quelconque. L’athéisme chinois est au carrefour d’un athéisme philosophique et d’un athéisme qui est l’effet du maoïsme et de la révolution culturelle. Cependant, deux moyens existent de concevoir ce que fut la Chine avant la révolution culturelle : Hong-Kong et Taiwan. Hong-Kong possède des temples bouddhistes qui se développent avec des religions associées, par exemple un temple à la mer lié à la religion bouddhiste. Il y a une forte activité religieuse, cependant, Hong-Kong garde les traces d’une base anglaise ou la religion bouddhiste resterait réactive ou protégée pour contraire l’influence des sectes protestantes. C’est un face-à-face entre le monothéisme protestant et la religion chinoise qui ne donne pas l'expérience d‘un temple pur. Est-ce que dans ces conditions, on peut traiter Taiwan comme un cas pur? Il semble qu’en Chine, le gouvernement s’inquiète de ce vide religieux qui conduit à une vulnérabilité du pays face aux pénétrations des cultes étrangères, comme celle de l’Islam identitaire par exemple. D’autre part, on pourrait dire qu’il tente de créer une solidarité entre la politique et un néoconfucianisme, comme si l’on pouvait articuler le respect de l’État avec celui du parti communiste gouvernant l’État chinois. Ce néoconfucianisme communiste tente de sauver la sacralité du parti communiste par la réinsertion de thèmes confucéens, le premier étant celui de l’harmonie. Un discours officiel néo-confucéen d’une harmonie sociale et politique trouve dans les textes de Confucius un enracinement. La Chine en 2012 s’attend à une transition politique difficile entre l’actuel dirigeant et son successeur, elle se servirait du thème de l’harmonie pour dissimuler les fractures sociales qui s’embrasent. C’est une médiation entre le pouvoir et le savoir, avec une relation entre le confucianisme et l’état chinois communiste. L’autre voie est le soutien aux religions, le financement de reconstruction de temples. Des temples bouddhistes sont reconstruits après avoir été détruits par la révolution cultuelle. L’État tente de subvenir aux besoins des religieux avant qu’il ne soit trop tard. Des moralistes dénoncent la folie de la consommation qui en viendrait à détruire la civilisation. Il faudrait alors retrouver des fondamentaux. Le bouddhisme n’est toutefois peut-être pas en mesure de remplir cet office. Il y a actuellement des fonctions attribuables au bouddhisme, mais pas forcément de respect du bouddhisme. Il résout des problèmes, propose une ritualité pour notre passage sur la terre, mais sans véritable respect. L’idée d’une renaissance bouddhiste se heurte à une résistance des Chinois à toute forme de militantisme ou de prosélytisme. L’idée de se convertir, de changer sa vie pour entrer dans une spiritualité nouvelle, pose de gros problèmes à la société chinoise contemporaine. Nous sommes loin dans ces milieux de la passion des Occidentaux pour un Dieu créateur du monde. La folie de l’Occident consiste à trouver une cause qui soit une personne. Heidegger montrait que c’est l’échec profond de la métaphysique occidentale d’arrêter son questionnement de l’être à la figure de la cause. Dieu est entré dans la philosophie par la causalité, mais cette causalité est un fétiche typique de l’Occident et constitue l’inverse de l’attitude de l’Asie. La seconde grande folie occidentale est la recherche du médiateur, qu’il soit Moïse ou Jésus ou Mahomet. Les Occidentaux se rendent compte que la quête d’un Dieu créateur place la barre trop haut, c’est pourquoi ils tentent de trouver des médiateurs qui sont, soit des héros admis à la conversation avec Dieu, soit des prophètes, soit Dieu lui-même dans l’abolition de son être divin. Ce dernier point donne lieu à l’anthropo-divinité des Européens, le Christ, qui concentre la figure du médiateur dans la transsubstantiation. La thèse de Certeau est que le concile de Trente fait entrer l’eucharistie en crise, ce qui est radicalisé par Calvin et le protestantisme. Parce que l’eucharistie entre en crise autour de 1550, les Occidentaux entrent dans une sorte de fragilisation psychique, d’où naissent une suite de personnes qui deviennent des mystiques, au sens où les femmes et les hommes ont cette vocation d’offrir leur corps comme nouvelle eucharistie, comme substitut de l’eucharistie devenue impuissante. Le mystique entre en extase parce que cette dernière est le devenir eucharistique de leur corps. La fable mystique étudie ces mythologies que les mystiques constituent pour surseoir au défaut ou à la crise du corps du Christ et de la possibilité d’y communier. Le mystique est un corps du Christ par substitution. Les stigmates sont la preuve des mystiques qui répètent dans leur corps celui du Christ. Le développement de l’Occident, sa recherche d’un Dieu créateur et d’un médiateur, paraissait impossible à transmettre en Asie. Ceci est vrai pour la Chine et le Japon, mais non pour la Corée, qui, à la suite de la mondialisation, s’embrase pour les sectes protestantes. Le parti communiste chinois limite les visas des Américains pour éviter que le même drame se produise en Chine, à savoir la propagation effrénée des sectes protestantes. La mondialisation est celle du monothéisme et du médiateur. L’évangile s’adapte mieux que le reste à la souffrance qui naît de la mondialisation - car cet évangile est lu alors sur un mode faible, déjudaïsé. Certeau voit l’avenir du christianisme comme le passage de l’église triomphante à celle de la faiblesse de croire. Nous croyons en tant que nous reconnaissons qu’il y a en nous une faiblesse insigne. La faiblesse est le lieu de la croyance, ce qui est proche des études sur la vulnérabilité. La mélancolie occidentale est le lieu d’une pénétration du divin. Mais il faut distinguer le travail de Certeau du développement d’une pensée du post-catholicisme et les sectes américaines nationalistes qui sont dans la spirale du panaméricanisme. C’est la différence aux États-Unis entre le protestantisme extatique du peuple et le protestantisme sophistiqué des campus. On peut sonder la vieille civilisation chinoise comme un terrain d’expérience qui nous préserve du monothéisme. Le paganisme occidental pourrait nous protéger de la ruée monothéiste. Le recours est peut-être dans ce paganisme éradiqué, dans ce paganisme blême, spectral, d’Aufhebung, qui remonte de la tombe. Ou bien il faudrait constituer une identité asiatique qui, dans le présent, exerce des spiritualités alternatives à celles du judéo-christianisme. Ce serait sonder la profondeur de la Chine pour qu’elle nous donne un art du différencialisme religieux qui protègerait une part de l’humanité du sort qui se réserve aux masses, à savoir l’enrégimentement sous le dieu unique. Il est difficile de se tourner vers le Japon et de vouloir diffuser hors du Japon la spiritualité japonaise. La spiritualité du Japon lui est spécifique, comme nous l’avons déjà souligné. Il est difficile d’exporter les Kama japonais en Occident. Cette formule admirable spécifique renvoie à une élection du peuple japonais qui empêche de faire passer en Occident des spiritualités japonaises. Ceci conduit aux thèses de Granet sur la religion chinoise et aux difficultés de son œuvre. Il a des présupposés qui font problème. Il est l’un des meilleurs élèves de Durkheim. Granet vit seulement deux ans en Chine, ce qui n’est pas convaincant pour son entreprise de restituer l’intégralité du fait chinois. Les poètes s’imposent d’autres expériences, à l’exemple de Claudel ou de Saint John Perse. Granet manque de rapport réel avec la Chine. Mais ses textes sont d’une grande beauté de style. Il a le génie lorsqu’il est en Chine de faire trois livres importants. Au lieu de se jeter vers les temples, il s’intéresse aux chansons et aux fêtes. Il fait de l'ethnologie de la chanson. Son premier livre, Fêtes et chansons anciennes de la Chine, étudie la vie paysanne chinoise dans la Chine archaïque. Il prend un grand recueil de poèmes de la Chine ancienne, des chansons de cour et fait l’hypothèse que, lues d’une certaine façon, elles révèlent leur origine villageoise. Le second libre, Danses et légendes de la Chine ancienne, rassemble les mythologies aristocratiques de la Chine des villes pour montrer que ce sont des fragments d’une tradition poétique plus ancienne que Granet reconstitue. Il pense que son premier livre et son second mettent en évidence le fait que la société chinoise  est la composition d’une civilisation de la campagne et d’une civilisation des villes. L’ensemble est la réunion de ces deux côtés, la lutte de deux races qui se sont mêlées dans les grands bassins chinois. Ce sont deux races qui se réunissent, dont l’une descend des pentes du Tibet de la Turquie orientale, et l’autre du nord-est de la Chine. On peut parler d’une civilisation qui résulte de la confrontation entre deux couches de populations. Granet dispose pour cette hypothèse d’un héritage de la science occidentale qu’il applique à la Chine. Cette pétition de principes vient d’André Pigagniol, qui est historien de Rome. Il soutient l’idée que l’opposition entre les patriciens et les plébéiens est celle de deux couches et deux peuples, pélagien et nordique. Rome est la composition entre le paysan italien et le guerrier germanique.  Granet propulse ceci vers le fait chinois pour interpréter les chansons villageoises comme la trace d’une opposition entre deux couches de peuplement. La grandeur de la Chine est de dépasser cette opposition en une civilisation qui n’est plus raciale. La civilisation est donc ce qui résulte de la synthèse entre les races. Cet univers porte l’emprunte du mythe romain. Granet fait une troisième chose en Chine. Il travaille sur les règles de mariage, notamment sur la question de la sœur. Il est le professeur de Claude Lévi-Strauss, qui trouve ici l’enseignement des structures élémentaires de la parenté. La combinatoire de Lévi-Strauss est la traduction de Granet. Son autre élève est Dumézil lui-même, qui tire bénéfice de Granet sur le plan de la mythologie. Le dédoublement chez Dumézil entre les mythes et les structures vient de Granet, qui lui-même découvre le dédoublement entre les chansons de cour et les réalités villageoises qui sont derrière. Granet est un chercheur qui vient de Durkheim et transmet au-delà de lui une distinction entre l’apparence d’un discours et ses fonctions. Ceci parvient jusqu’à Foucault. - Revenu en France, Granet assemble les notes prises à Pékin et rédige les ouvrages cités. Il meurt en 1941. C’est un grand trouveur de méthodologie en sociologie des religions, un homme qui porte le poids de Rome. Il appartient à l’esprit positif de l’école de Durkheim. Comment expliquer sa vocation à la Chine avec cette configuration initiale? Il se trouve de plus que Granet est un grand écrivain. Il domine sa matière et crée une façon unique de dire la Chine, d’une grande beauté, qui s’élève à un haut degré de poésie. Il a une intuition esthétique de la Chine qui restitue dans la langue française l’impression que produit la Chine sur celui qui la traverse. Il faut trouver un dialogue non seulement conceptuel avec la Chine, par exemple la peinture ou la musique une communication méta-conceptuelle pour ne pas rester à la théorie extérieure et Granet eut ce talent. Il écrit de nombreuses notes mais ne cite que ses propres travaux et ses propres interprétations. On a pu dire qu’il n’écrit donc que sur lui-même et non sur la Chine. C’est peut-être de la science, peut-être un roman, l’avenir décidera. Mais son travail permet de construire une attitude non monothéiste comme celle que nous subissons autour du bassin méditerranéen. Si ce n’est pas dieu qui tient le monde, c’est la tradition qui donne le monde. Le  concept de tradition permet au monde de tenir. Ceci reconduit au traditionalisme de Guénon, qui place la tradition comme le principe organisateur de l’ordre chinois, et donc l'alternative à la théologie occidentale. Mais les Chinois ont des dieux ; ce sont les signes. Dès qu’ils préservent les idéogrammes, l’art de l'écriture est lié à la sollicitation théurgique d’une divinité. Écrire, c’est faire surgir un dieu de l’écriture. Ce dieu gouverne les hommes et le cosmos par l’écriture. Il faut considérer les idéogrammes de trois façons. Ils aident à la fixation des phrases de la communication, ils sont des peintures de la chose, des pictogrammes et ils possèdent une fonction mythologique : l’autorité qu’ils ont sur notre regard. Nous n’usons pas de l’idéogramme, c’est lui qui use de nous. Nous sommes soumis à son rayonnement. Celui qui peint l’idéogramme se met à son service en le peignant. C’est un moment religieux où la subjectivité se voit structurée par l’influence que l’idéogramme exerce sur elle. À côté des fonctions de communication et d’inventaire, les signes deviennent un dieu de l’Asie, car ils s’adaptent à d’autres langues. L’idéogramme a une valeur qui dépasse la terre chinoise. Il est le véhicule d’une civilisation qui décèle un fond de dieux dans le signe. Certes le ciel de la pensée traditionnelle chinoise est vide, sans panthéon, ni mythologie des dieux ; mais ces dieux existent, ce sont les idéogrammes. Le rituel qui les fait advenir à la manifestation sensible est l’épiphanie du pinceau. Il n’y a pas un retrait des dieux en Chine, mais une permanence exceptionnelle, dans la mesure où la permanence des signes est avérée. Ces signes sont diffusés dans toute l’Asie, trouvant comme seule limite l’extension indienne du sanskrit. L’alphabet divin demeure pourtant identifiable et marqué à tout instant de la vie quotidienne. S’il y a une épiphanie du pinceau, elle a un rapport au geste et au papier de luxe, à l’encre et à une gestuelle qui nous est inaccessible mais dont nous sentons le caractère fondateur. Le premier obstacle est celui des pseudo-orientalistes qui pensent pouvoir pénétrer toute forme de mystère de la signification dans les signes, qui croient accéder à une lisibilité scientifique des signes. C’est ce que Vico appelle la pédanterie des savants. L’autre obstacle, inverse, est de penser que nous ne sommes pas appelés par cette signification. Je soutient dans mon prochain livre, où je traite d’instants-mondes qui soulèvent, de temps à autres, la Métaphysique de la destruction, comment l’ontologie occidentale, d’effondrement en effondrement, a fini par s’ouvrir à un sentiment océanique qui s’identifie au sentiment asiatique de l’existence. Nous n’y accédons pas, nous restons devant des stèles de pierre impénétrables, nous sommes pétrifiés devant un mur qui pourtant se craquèle au rythme d’une écriture restituée à son poids de divination. Quand Nietzsche écrit le Zarathoustra, que serait devenu le cinquième livre? La phase d’après serait un Zarathoustra engagé en Asie. Quand l’Occident arrive à ce degré de solitude, il ne peut que solliciter la réponse de ce qui est en face de lui. Le pas de plus est de prêter l’oreille à ce qui vient d’Asie à la détresse de l’Occident. Or, Nietzsche pense à ceci et refuse cette issue et oppose le bouddhisme à sa conception des choses ; Nietzsche ne pense pas la chance mais le risque d’une Asie venant à nous. C’est ce que firent les maoïstes en 1968 en France, avec par exemple Sollers. Il fut un militant asiatique dans sa jeunesse ce qui le conduit en Chine à rencontrer Mao. D’où l’idée des Spontex Mao, des maoïstes spontanés non organisés dans un parti. Cela conduit à la voie actuelle, par exemple aux œuvres de François Julien qui a commencé son trajet chinois avec la traduction du livre rouge de Mao. Ces gens qui portent sur un mode politique révolutionnaire la lecture de Nietzsche appartiennent au gauchisme de 1968 et apprennent le chinois pour des motifs politiques. Que répondre à ces deux objections? Nietzsche a une lecture du bouddhisme de Schopenhauer. La volonté de puissance suppose que l’athéisme du bouddhisme n’est pas une affirmation mais une négation de l’existence. Et comme tout nihilisme vient d’un ressentiment. Le vide bouddhiste est alors le comble du ressentiment contre l’existence. Le nihilisme asiatique est plus intéressant que le nihilisme européen car il est plus sérieux, plus radical et plus ancien. Mais cette direction de pensée ne prend pas en considération d’autres écoles de pensée, à commencer par le taoïsme et la pensée de Lao-Tseu. Ce dernier ressemble au Zarathoustra de la Chine. Il y a donc des formes spirituelles opposées au bouddhisme dont la vocation est l’augmentation de la puissance. Le taoïsme vise à créer des individus qui soient des noyaux de puissance capables de transfigurer  les valeurs. Ce serait une vigilance nietzschéenne - à moins que le nietzschéisme soit une vigilance taoïste en Occident. Il en va de même pour le Bushido, traité de chevalerie qui rencontre Dante et Nietzsche. On peut traiter  Tao Te King, livre supposé de Lao-Tseu, comme un corpus qui serait l’écriture du cinquième livre de Zarathoustra, comme si les quatre premiers livres en seraient l’introduction. Le chapitre 34 du Tao Te King est particulièrement intéressant, même si les traductions différentes en français sont parfois très opposées. Il se glisse une marge d’in-connaissance qui nimbe l’idéogramme. Une nébulisation sémantique entoure le Tao Te King. Nous renvoyons à la traduction de Liou Kia-Hway. Cette intraduisibilité du texte principal signifie que la suite est encore plus incompréhensible. Nous retrouvons ici la thèse de Guénon sur notre rapport à l’Orient. Il travaille sans cesse avec le Tao Te King ; et il fut très ami avec un officier français (Matgioï) parti en Asie s’initier à la grande triade. Heidegger dispose aussi d’une traduction du Tao Te King qu’il tient de l’un de ses étudiants chinois. A-t-il l’intuition que le livre qui vient après la fin de la métaphysique n’est-il pas le Tao Te King? Ce livre est un dialogue entre l’Orient et l’Occident, mais aussi un éternel retour de la civilisation. Nietzsche n’a-t-il pas l’idée de proposer un retour éternel dont il ne voit pas la structure civilisationnelle dont la réalité serait ce retour en Asie pour que se recrée une autre civilisation qui reparte de l’Orient et repasse en Occident? Ce concept serait plus proche de l’éternel retour de Vico que de celui de Nietzsche. Le ricorso est l’idée que toute civilisation est animée d’un rythme triple qui conduit à l’âge des hommes ; mais il ne se maintient pas dans cette totalité, car le sommet de la civilisation introduit une barbarie de la réflexion, de l’individualisme post-moderne. Il faut ensuite retrouver des terreurs fondatrices donnant lieu à la création d’auspices créant un nouvel âge des dieux. Ce phénomène cyclique et en spirale place en Chine un nouveau commencement qui, fondé sur les idéogrammes, restructurerait la civilisation. Dans cette circularité, nous ne sortons pas de la trajectoire qui mène d’Est en Ouest et périodiquement retourne à l’Est. De même, le mythe du politique chez Platon, les dieux remontent la machine et libèrent l’énergie pour que la Terre tourne dans l’autre sens. Cette alternance rythme l’univers. Cette thèse se voit confirmée par le texte sur le Japon de Malraux dans les Anti-mémoires ; c’est l’épisode du jardin sec. Ce jardin d’un monastère zen de Kyoto est composé de rochers entourés de graviers que les moines ratissent chaque jour. Ce jardin clos donne une impression finale de paix et de libération à l’égard de l’ordre du monde chaotique. Malraux s’entretient alors avec un moine, qui lui révèle que le fond de la spiritualité japonaise est dans ce jardin. L’Occident s’est voué à une puissance d’intégration, et avec la venue de la puissance industrielle et militaire, il porta cette puissance d’interrogation jusqu'à la démence sans jamais pouvoir y trouver un terme. Le musée imaginaire est ce degré de confrontation entre les œuvres qui pose une question devenant planétaire, malheureusement elle manque à toute forme de réponse. Le musée imaginaire est la forme suprême de l’angoisse. L’interrogation occidentale est tellement destructrice qu’elle est l’équivalent d’une bombe atomique. Le musée imaginaire est un lieu atomique d’auto-destruction des images. Granet développe des thèses édifiées par Vico dont il est un disciple tardif. Des concepts majeurs de Vico se retrouvent chez Granet, les questions des auspices, de la technique, du droit, de la musique. Rome sert de modèle théorique pour comprendre la Chine, notamment l’étude de l’empire chinois à partir de celui de Rome. La religion des Chinois, page 19 “Quel avenir est réservé en Chine à la religion? Il convenait de poser la question. Devais-je y répondre véritablement? Inutile de dire qu’un historien des religions ne peut croire posséder le don de prophétie.” Granet se définit comme un historien des religions et décrit la difficulté de définir l’avenir de la religion en Chine en 1922. Elle perd son empereur et glisse dans la guerre civile. La conclusion de l’ouvrage revient sur cette question : l’islam et le christianisme font effort pour pénétrer la pensée et le territoire chinois, mais cette propagation ne parvient pas à s’effectuer en Chine. Elle résiste à l’instabilité religieuse des monothéistes. La religion des Chinois, (pages 238 et 239): “Aucun renouveau religieux n’a pu réussir à modifier sensiblement ces dispositions de la race chinoise à l’égard du sacré. D’autres renouveaux arriveront-ils à les modifier?” La religion des Chinois,( page 243): “S’il se produisait en Chine quelque grande crise sociale, il n’est pas dit que le Taoïsme n’y jouerait aucun rôle.” La civilisation chinoise, page 152 “Plus que l’histoire d’un État ou d’un peuple, l’histoire de la Chine est celle d’une civilisation, ou plutôt celle d’une tradition de culture. Son principal intérêt […] serait peut-être de montrer comment l’idée de civilisation a pu, dans une histoire aussi longue, brimer de façon quasi-constante l’idée d’État.” Le concept de tradition est au centre du dispositif. Or Granet dit dans La civilisation chinoise qu’il reproche à la tradition d’«entacher les faits» et il voudrait remonter plus haut que la tradition. Il écrit (page 68), à propos des annales de la civilisation chinoise, que ces travaux s’inspirent de l’idée que la tradition canonique ne peut se tromper, en revanche des erreurs se glissent dans la transmission. Il veut abolir cinq mille ans de tradition historique. C’est le positivisme français qui se fait jour ici. Le malheur vient d’un bergsonisme et d’un socialisme un peu étrange (page 158) qui promeut l’activité créatrice. Mais à quoi peut sert une création si elle ne dure pas?  Cet intérêt pour les créateurs nous fait penser à la révolution culturelle mais non aux idéogrammes. Les derniers ont pour modèle les stèles qui sont l’art de consigner les événements humains dans l’éternité de la pierre. Nous sommes donc obligé d’entrer dans une médiation de la tradition. La philosophie occidentale doit enfin prendre en considération les thèses avancées par René Guenon. Car si l’on est nietzschéen, ce qui se pose après le Zarathoustra, c’est la tradition. Le signe «tradition» ne s’écrit pas sans le signe «Tao». A la simple considération de l’idéogrammequi signifie tradition, on retrouve « la marche », donc la continuation du Tao. Cette tradition comme amplification du Tao est à la base du concept de tradition primordiale chez Guénon. Quand Granet dit que le Tao « entache » l’histoire, il fait allusion au caractère primordial de la tradition qui s’oppose à la violence du changement : La religion des Chinois, (page 157 ) “[La vie religieuse des Chinois] s’interdit les croyances ambitieuses, les violences de la foi et tout ce qu’ont d’inhumain les religions où la conception des Puissances divines a quelque chose de réaliste et de démesuré. Les lettrés furent, sur ce point, des surveillants et des censeurs impitoyables.” On renvoie aussi au texte de Sollers, Discours parfait, sur la Chine. La violence de la religion n’existe pas en Chine, car l’écriture est un rituel qui empêche le basculement dans l’excès. «Ils ne connurent plus le poids des dieux.» De ce point de vue, c’est l’anti-Hölderlin qui ressort. La religion des Chinois, (page 218) “Les lettrés furent victorieux. Aucun des renouveaux religieux n’affecta gravement les vieilles croyances de la Chine.” Quand l’empereur apprend la diffusion du bouddhisme et il écrit une lettre sur le bouddhisme. Les lettrés sont victorieux contre les superstitieux.   La religion des Chinois, (page 53): “Pourtant, si l’on ne compte pas ceux qui sont d’invention tardive et toute artificielle, la pauvreté de la Chine en mythes et en figures divines paraît extrême, et fait contraste avec la richesse qui signale en ce domaine le monde méditerranéen et le monde indien. La raison de cette pauvreté est-elle dans la langue chinoise? Il est vrai que ce langage, où l’on ne différencie pour ainsi dire pas de verbes, substantifs, adjectifs, se prêtait mal au jeu des épithètes qui semble une des conditions premières de l’invention mythique. Bien plus, dans l’ancien chinois, le verbe est foncièrement impersonnel ; rien de prédisposait à concevoir, sous forme d’agents individualisés, les forces agissantes : pourquoi les eût-on personnifiées?” La pauvreté de la Chine en mythes et en figures divines parait extrême et fait contraste avec ce qui relève en ce domaine du monde méditerranéen et du monde indien. La thèse de Granet est que la pauvreté en mythes s’origine dans la langue chinoise. Un idéogramme est une image complexe et aucune force sacrée n’apparait sous son aspect individuel. La vie du peuple est d’une telle fixité rituelle qu’elle fait tomber les mythes. Il faudrait alors se libérer du mythe pour comprendre la Chine. Granet prend en considération la distance de la Chine à l’égard de la croyance, des mythes et des lettrés. Mais sa remontée au-delà de la tradition est inverse de ce qu’il constate. Il faudrait distinguer entre plusieurs formes d’écritures.

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